vendredi 21 décembre 2012

Vieillir, par Max Eyrolle



Céline écrivait, dans son Voyage au bout de la nuit, qu’ « on ne sait plus qui réveiller en vieillissant, les vivants ou les morts. » C’est un peu l’impression qui se dégage du court et très beau texte de Max Eyrolle, « Vieillir », où se mêlent les vivants et la cohorte des morts, à commencer par l’enfant que fut l’auteur, avec la mère retrouvée : « elle vous parle de la fin d’un vieux pull qu’elle vous tricote parce que vous avez la gorge fragile ». C’est cela, vieillir : perdre l’enfant que l’on fut, qui apprenait à écrire ses premiers mots sur « un bout de tableau noir ». C’est perdre la petite fille qui faisait signe à la fête foraine derrière une bâche qui ne se relèvera jamais. C’est vivre avec des visages fantômes autour de soi. Poussière de souvenirs tout juste bon à céder aux autres. Vieillir, c’est collectionner des pertes irrémédiables. En éprouver un sentiment de froid, malgré le ciel bleu, les cafés – croissants au bar du coin et le téléphone qui retentit au loin. C’est vouloir toujours serrer dans ses bras une fille au bout d’un quai, et comprendre qu’il est peut-être déjà trop tard. C’est avoir « le sentiment que la vie s’est rétrécie d’un seul coup… », que le rocher au milieu de la rivière de l’adolescence n’est plus accessible. Il est devenu une île inatteignable : il est le bloc mêlé de la jeunesse enfuie et du passé enfoui. Vieillir, écrit Max Eyrolle, c’est embarquer sur un traîneau enchanteur dont on frappe les chiens pour aller plus vite – une scène qui rappelle la troïka joyeuse et insouciante des jeunes Rostov dans Guerre et paix, ne sachant pas encore que le destin est bien souvent funeste. On a envie de pleurer, on continue. Vers quoi file donc ce traîneau sur le passage duquel s’ouvrent les tombeaux et ressuscitent les morts comme sur les Jugements derniers de nos églises romanes ? Vers quoi sinon la mort ? « Vous vous souvenez des cercueils qui ont traversé votre vie, de toutes ces larmes… » écrit l’auteur qui livre ici un ouvrage poétique et universel, un bréviaire pour tous ceux qui voient filer inexorablement le temps. Il n’y a rien à faire, presque rien à dire : le narrateur se couche au creux d’une source rimbaldienne (« Nature, berce-le chaudement : il a froid… »). Le cycle de la vie et de la mort continue, les enfants qui naissent, les mariages et les enterrements. Mais il faut s’en détacher, laisser les chiens sur la rive et embarquer avec le passeur vers cet ailleurs mystérieux, celui de tous les temps, de toutes les mythologies – égyptiennes ou celtes, puisque vieillir, c’est aussi mourir. A la fin de ce bouleversant voyage impressionniste et lynchien, qu’accompagnent 7 tableaux de l’auteur que l’on aime aussi peintre, on imagine entendre celui qui attend de l’autre côté prononcer ces mots issus du Barzaz –Breiz d’Hersart de la Villemarqué : « O barde Merlin, d’où viens-tu, avec tes habits en lambeaux ? Où vas-tu ainsi, tête nue et nu – pieds ? »

Octobre 2007

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