Céline écrivait, dans son Voyage au bout de la nuit, qu’ « on ne sait plus qui réveiller en
vieillissant, les vivants ou les morts. » C’est un peu l’impression
qui se dégage du court et très beau texte de Max Eyrolle, « Vieillir », où se mêlent les vivants et la cohorte des
morts, à commencer par l’enfant que fut l’auteur, avec la mère retrouvée :
« elle vous parle de la fin d’un
vieux pull qu’elle vous tricote parce que vous avez la gorge fragile ».
C’est cela, vieillir : perdre l’enfant que l’on fut, qui apprenait à
écrire ses premiers mots sur « un
bout de tableau noir ». C’est perdre la petite fille qui faisait signe
à la fête foraine derrière une bâche qui ne se relèvera jamais. C’est vivre
avec des visages fantômes autour de soi. Poussière de souvenirs tout juste bon
à céder aux autres. Vieillir, c’est collectionner des pertes irrémédiables. En
éprouver un sentiment de froid, malgré le ciel bleu, les cafés – croissants au
bar du coin et le téléphone qui retentit au loin. C’est vouloir toujours serrer
dans ses bras une fille au bout d’un quai, et comprendre qu’il est peut-être
déjà trop tard. C’est avoir « le
sentiment que la vie s’est rétrécie d’un seul coup… », que le rocher
au milieu de la rivière de l’adolescence n’est plus accessible. Il est devenu
une île inatteignable : il est le bloc mêlé de la jeunesse enfuie et du
passé enfoui. Vieillir, écrit Max Eyrolle, c’est embarquer sur un traîneau
enchanteur dont on frappe les chiens pour aller plus vite – une scène qui
rappelle la troïka joyeuse et insouciante des jeunes Rostov dans Guerre et paix, ne sachant pas encore
que le destin est bien souvent funeste. On a envie de pleurer, on continue.
Vers quoi file donc ce traîneau sur le passage duquel s’ouvrent les tombeaux et
ressuscitent les morts comme sur les Jugements
derniers de nos églises romanes ? Vers quoi sinon la mort ? « Vous vous souvenez des cercueils qui
ont traversé votre vie, de toutes ces larmes… » écrit l’auteur qui
livre ici un ouvrage poétique et universel, un bréviaire pour tous ceux qui
voient filer inexorablement le temps. Il n’y a rien à faire, presque rien à
dire : le narrateur se couche au creux d’une source rimbaldienne (« Nature, berce-le chaudement : il
a froid… »). Le cycle de la vie et de la mort continue, les enfants
qui naissent, les mariages et les enterrements. Mais il faut s’en détacher,
laisser les chiens sur la rive et embarquer avec le passeur vers cet ailleurs
mystérieux, celui de tous les temps, de toutes les mythologies – égyptiennes ou
celtes, puisque vieillir, c’est aussi mourir. A la fin de ce bouleversant
voyage impressionniste et lynchien,
qu’accompagnent 7 tableaux de l’auteur que l’on aime aussi peintre, on imagine
entendre celui qui attend de l’autre côté prononcer ces mots issus du Barzaz –Breiz d’Hersart de la
Villemarqué : « O barde Merlin,
d’où viens-tu, avec tes habits en lambeaux ? Où vas-tu ainsi, tête nue et
nu – pieds ? »…
Octobre 2007
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