Avec ce nouveau recueil,
Marie-Noëlle Agniau poursuit discrètement et opiniâtrement son labeur poétique
(en parallèle avec l’écriture de récit ou d’ouvrage de réflexion philosophique),
désormais très largement salué par la critique française et étrangère et
continue à tisser des liens avec la Belgique, publiée une nouvelle fois par
L’Arbre à paroles, et invitée de temps à autre par le Cercle de la Rotonde au
Théâtre-Poème de Bruxelles. Une poésie qui se prête particulièrement à la
lecture publique ou à l’interprétation, par l’auteur elle-même, qui affectionne
cet exercice, ou par d’autres, comme le metteur en scène Michel Bruzat, la
comédienne Camille Brunel ou, prochainement, dans une mise en scène de
Jean-Paul Daniel. On sait bien que, depuis les origines, depuis les aèdes puis
les troubadours, la poésie est « sonore », parole portée jusqu’à
l’autre et c’est souvent le cas avec cet auteur.
« Temps bénit où fut sommeil »
apparaît comme la suite poétique la plus réussie de Marie-Noëlle Agniau, auteur
trentenaire longtemps nomade et désormais ancrée en Limousin. « Ce qu’on raconte est une fête
lointaine, des feux d’artifice par-dessus les toits, des torchons mouillés, pas
de poches où mettre les mains, on se promène… » écrit-elle et c’est
comme un résumé de son recueil, sorte de grande rumination de sensations rimbaldiennes, de sons, de
sens, et de mots. Ici, la poésie se crée sous nos yeux et elle est en
action : « Ta langue s’efforce
dans un bol de farine, le vinaigre mélangé aux figues. » La poésie est
une drôle de cuisine, un grand travail, même si parfois « du papier cru nous tombe des mains. » Marie-Noëlle
Agniau est une collectrice d’épiphanies qui sait retrouver la pureté
originelle, celle du biblique Roman de Tobie : « L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière. » Elle
a retrouvé les temps d’avant le temps, comme Baudelaire avant elle : « Seulement voilà je partage le savoir
des enfants. » Et ce savoir, celui de l’innocence, lui permet
d’effacer la « paroi sur nos
yeux » car la poésie dévoile et la poésie est un phare, comme celui d’Eckmühl. Le poète est vigie que la
clarté habille. Le poème est conjuration avec la magnifique litanie dont chaque
vers commence par l’injonction « doucement ».
Le poète est celui qui entend que « Là
tout au fond en arrière du monde, les voix se forment. » Il est celui
qui voit les pavots s’effondrer et bien d’autres choses encore. Il est celui
qui sait.
Enfant
avec sa « main à confettis »,
nature, terre, amour, sensualité, animaux, chien, loir dans la bibliothèque,
vache (sacrée puisque la poète s’y compare), grillon, abeille, escargots vides,
et même peluches… semblent concourir à une joie lucide, malgré la
commémoration, incessante dans l’œuvre de ce poète, du frère Paul jadis
disparu : « Je suis l’ombre des
sœurs immobiles. » Et toujours, le jeu avec la langue, avec les mots,
les assonances et allitérations, les innombrables figures de style, les vers
péremptoires ayant force de prophétie, la richesse d’une écriture référencée qui
donne du plaisir à chaque instant, semble nous raconter des histoires et notre histoire, l’histoire du monde
depuis Jonas et depuis les temps anciens où les animaux parlaient le soir de
Noël. Dans son sac, le poète rapporte des « débris
de voyage ». Mais écrire est aussi une violence, est un acte violent,
est un acte terroriste : « Ecrire,
comme on se roule par terre, déposant là notre humanité. » Comme la
foudre qui « éclate dans une
assiette ». La voix de Marie-Noëlle Agniau porte – ceux qui le veulent
sauront l’entendre.
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