vendredi 21 décembre 2012

Quand j’étais star de Peyraud et Villard, chez casterman écritures



Bienvenue chez les bobos cinquantenaires ! Le bel ouvrage que publie Casterman nous plonge dans l’univers des nouveaux frustrés et c’est à la fois drôle, acéré, lucide et édifiant. Le héros (ou anti-héros ?), c’est Marc Villard, plutôt bien installé dans la vie, puisqu’il travaille pour une agence de pub dont le patron semble être considéré comme un tyran overbooké. Jean-Philippe Peyraud, le dessinateur, qui a reçu en 2005 le prix « L » Bande Dessinée, croque une vingtaine de récits, de manière efficace, en privilégiant le noir, le marron et le blanc, et en sachant toujours saisir l’expressivité des personnages. On nous dit en 2ème de couverture que ces aventures quotidiennes entre présent et jeunesse de Marc Villard sont tirées de nouvelles autobiographiques publiées aux éditions de l’Atalante et dont les titres mêmes – Elles sont folles de mon corps ou Souffrir à Saint-Germain-des-Prés – en disaient déjà long sur le propos.
            Les héros sont fatigués, donc, mais font tout pour le dissimuler : leurs rêves de rock star et de rébellion n’ont pas abouti, ils s’inquiètent beaucoup à propos de la taille de leur pénis, sont prêts à gâcher leurs vacances en famille pour un rendez-vous avec leur psy – d’ailleurs lui-même fort mal en point –, jouent les séducteurs au travail mais surtout avec les stagiaires. Les espoirs de grand soir se limitent désormais aux combats pour le contenu du distributeur de friandises de l’entreprise, qui mobilisent néanmoins, après de longues tractations, la déléguée du personnel F.O. (car on imagine guère la C.G.T. en un tel endroit...). En quelques coups de crayons, Peyraud sait montrer les sentiments, les tensions, les affrontements, les petits jeux de pouvoir, le sourire carnassier d’un type qui fait croire aux filles dans l’ascenseur que le grand chef lui a confié une mission secrète. Ombres et lumières, bateaux à quai, librairies, soleil de province ou pluie à Paris, intérieur bourgeois, gros plans ou plans larges, Peyraud sait aller à l’essentiel et même au quasi cinématographique.
            Marc Villard n’est pas qu’un cadre dans la pub, c’est aussi un écrivain – du moins le voudrait-il – qui commença par écrire de la poésie, sans succès, voudrait écrire un chef-d’oeuvre, « un livre fondateur. La référence ultime », mais se limite au polar. On sent le vécu lorsqu’il nous raconte les ennuyeuses dédicaces lors des salons du livre provinciaux, où des lecteurs peuvent venir demander des comptes sur son écriture, lorsqu’il cherche avec angoisse son bouquin dans les librairies, en étant prêt à toutes les ignominies pour le faire mettre en valeur par les libraires ; mais on éprouve aussi la tendresse qui peut effleurer en lui à l’occasion d’une rencontre avec des jeunes n’ayant pas les moyens d’acheter ses livres.
            Mais Marc Villard a aussi une vie de famille : avec une femme que le dessinateur représente comme une piquante brune vêtue de noir et talons hauts, fumeuse, qui semble aimer son mari sans illusions, juge son oeuvre sans aménité particulière mais le défend pour la promotion de celle-ci. Ils ont un fils adolescent qui s’amuse à inventer des épitaphes pour la future tombe paternelle. Sa mère serait prête à tout pour qu’il ait de bonnes notes à ses devoirs. Et si Marc Villard a perdu son père, il irait jusqu’à se débarrasser de sa tatie, peut-être même à l’assassiner avec un flamby, pour hériter de la propriété provençale.
            L’ensemble, on le voit, est plutôt corrosif, bien éloigné des idéaux de jeunesse. On s’amuse de la dernière de couverture, tellement vraie, où le héros, lecteur de Libé, à la faveur d’un apéritif au soleil, une bonne bouteille à la main, propose à sa femme : « Et si on faisait la révolution ? » C’est beau comme du Besancenot germanopratin. Il y a aussi des moments de bonheur légers, dans ce bel album – sans doute les seuls qui vaillent désormais, pour les héros revenus de beaucoup, et pour nous pauvres lecteurs : promenade en bord de mer, où l’on retrouve le plaisir de chercher un crabe, écoute d’un bon vinyle, lecture d’un bouquin de l’excellent Bob Giraud, allongé sur un transat... et souvenirs des premières cigarettes ou des premiers émois, quand il fallait faire ses preuves avec une fille, que faire l’amour était aussi terrifiant qu’escalader l’Everest. Tout ceci est juste, dans le récit et dans le dessin. C’est une vie qui passe, avec ses joies, ses espoirs, ses envies, ses renoncements et ses lâchetés. Celle de Marc Villard et la nôtre. C’est une réussite qui inspire de la mélancolie sur ce que nous sommes devenus.

Mardi 18 mars 2008

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