Nestor Burma est
le célèbre détective créé sous l’Occupation par Léo Malet (Montpellier, 1909 –
Châtillon-les-Bagneux, 1996), ami de Jacques Prévert et des surréalistes, par
ailleurs auteur de poèmes, romans d’aventures, de faux policiers américains et
d’une trilogie noire. L’écrivain estimait que le nom de son personnage, adapté
à diverses reprises au cinéma, « claquait
et faisait un tantinet baraque foraine. »[1]
Inspiré par des promenades à travers
la capitale avec son fils, Léo Malet a eu l’idée géniale d’écrire une série de
romans policiers se passant chacun dans un arrondissement de Paris, qui fut
baptisée Les Nouveaux Mystères de Paris
et publiée par Robert Laffont. L’auteur connaissait bien Paris, en aimait
l’histoire, depuis le Moyen Age, en particulier pittoresque et anecdotique,
enrichie de quelques faits divers glanés dans les revues et journaux
spécialisés. Il décida néanmoins d’aller s’imprégner de l’atmosphère des
quartiers et de l’architecture afin de nourrir ses romans, qui fourmillent
également de références littéraires et poétiques, cinématographiques et
musicales[2]. La
capitale des années 1950 – qu’il partage avec Boris Vian et les
existentialistes et dont s’est emparé plus tard Patrick Modiano – n’était guère
différente de celle des années 20 et faisait même parfois songer à celle du 19ème
siècle – celle de Victor Hugo, de Balzac et de Charles Baudelaire. C’est sans
nul doute ce qui fait le charme et le succès des enquêtes de « Dynamite Burma, le détective de
choc ». On est même tenté d’écrire que l’intrigue des romans est
presque superflue, que ce qui compte le plus, ce sont les pérégrinations de
Nestor à travers un Paris désuet, empruntant les passages et les ruelles,
découvrant les cours secrètes. Il visite la foire du Trône, la Cité des vins à
Bercy, s’amuse à perdre son lecteur dans les brouillards du pont de Tolbiac ou
sous les voûtes des réservoirs de Montsouris. En revanche, Malet n’a pas écrit
sur le 7ème arrondissement (celui de la tour Eiffel !),
confiant dans son autobiographie : « C’est
un monde de diplomates et de militaires qui m’est complètement étranger. »[3] Et il
s’est malheureusement arrêté au 17ème, n’écrivant pas à propos de
Montmartre, Belleville et Ménilmontant, sur lesquels il y avait pourtant fort à
faire. Burma n’a pas traversé le Père-Lachaise. Le Paris de Burma, c’est celui
des photographes Doisneau et Brassaï, une ville pour laquelle les nouveaux
habitants et les touristes du 21ème siècle se sont pris de passion
nostalgique.
Le Paris de Nestor Burma, c’est
aussi celui d’une population elle aussi parfois disparue : jeunesse de
l’après-guerre qui s’amuse dans les caves de Saint-Germain-des-Prés en dansant
sur des accords de jazz, clientes des magasins de frivolités, russes blancs,
escrocs en tous genres, chansonniers et fantaisistes, prêteurs sur gage juifs,
spectateurs du Vel’ d’Hiv, prostituées du Bois, ouvriers et artisans, bouchers
des Halles, starlettes posant dans des revues pseudo érotiques et jeunes filles
de bonne famille du 16ème, journalistes et policiers. Le détective
croise des personnages hauts en couleurs, se souvient d’affaires des temps jadis et des temps troubles de l’Occupation. Une
population sans doute plus « déterminée » ou en accord avec
l’arrondissement où elle vivait que celle d’aujourd’hui. Des gens que Malet a
bien connus, lui qui, jeune anarchiste, « bouffa de la vache
enragée », fut ouvrier ou crieur de journaux. Le Paris de Nestor Burma,
c’est aussi celui des « minorités » : des Noirs et des Juifs
(parfois caricaturés), des immigrés maghrébins venus travailler pour la
prospérité de la France et dont Malet ne donne pas toujours une vision très
reluisante. C’est une ville contemporaine de la guerre d’Algérie, dont les
répercussions apparaissent parfois dans les romans, en toile de fond, comme
l’Occupation imprégnait l’atmosphère des trois premières aventures de Burma –
en particulier 120, rue de la gare
(1943).
Mais le drame pour Nestor Burma – et
surtout pour Léo Malet –, c’est que le Paris des années 50 à 70 est celui des
« Trente glorieuses ». C’est celui des démolisseurs, des promoteurs,
qui ont totalement remodelé la capitale et fait pratiquement disparaître celle
qui inspirait l’écrivain. Dans un entretien avec Hubert Juin en 1976 sur France
culture, Malet a expliqué l’arrêt des aventures de son intrépide détective par
la transformation des arrondissements qui le déroutait. D’ailleurs, l’écrivain
a dû lui-même quitter la maison où il vivait et écrivait depuis 25 ans et
accepter son transfert dans une H.L.M. Toujours à la radio, il s’est exclamé, à
propos des travaux du front de Seine : « mort
aux promoteurs ! ». Des modifications urbanistiques qui l’ont
rendu très amer à la fin de sa vie.
Certains ont qualifié Léo Malet
d’auteur de « polars
réactionnaires » prônant l’immobilisme de Paris ; c’est surtout
l’un de ces écrivains piétons de Paris
qui ont concouru à sauver la mémoire d’un patrimoine urbain aujourd’hui
disparu, à contribuer eux-mêmes à construire la légende littéraire de la
capitale, celle qui forge aujourd’hui encore son identité aux yeux de ceux qui
l’habitent et la visitent. C’est bien pour cela qu’il est bon d’arpenter les
rues aux côtés de Nestor Burma.
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