La chorégraphe Lolita Bruzat est
une « enfant de la balle » : sa mère enseigne la danse au
Conservatoire de Limoges où son père – metteur en scène de talent au Théâtre de
La Passerelle
– forme les élèves à l’art dramatique. Psychologue clinicienne travaillant avec
les malades l’expression corporelle ou la danse, elle a appris la danse
contemporaine au Conservatoire de Bordeaux, bénéficiant par exemple des
conseils d’Odile Duboc.
Avec
7 autres danseuses au parcours universitaire souvent intéressant, elle a créé
le collectif Aléas, qui propose Histoires
courtes, un récit émouvant, sensible et percutant, montrant des femmes
perdant leur originalité, leur individualité, à l’occasion d’un entretien
d’embauche. Le quotidien, le travail, oppriment. Elles revêtent sur scène des
oripeaux masculins qui ne sont pas les leurs : il faut entrer en
compétition, affronter les autres, se heurter à eux et au réel. Cela donne une
chorégraphie heurtée où les corps s’affrontent et souffrent, dans une chute
perpétuelle. Les mains claquent sur les corps, les souffles résonnent. Une peur
diffuse s’installe, au plus près des spectateurs pris à parti. On se jauge, on
rivalise, on entre dans le jeu social qui est un leurre et qui blesse.
L’extrait
des Carnets du sous-sol de
Dostoïevski récité par l’une des danseuses fait prendre conscience du temps qui
passe ; de la nécessité de s’interroger sur la vie que l’on a menée et que
l’on mène encore. C’est l’heure des bilans. Toute vie ne serait-elle, comme l’a
affirmé Sartre, que l’histoire d’un échec ? Il faut pourtant bien
s’extirper du fardeau que font peser les autres et les conventions sur nos
esprits et nos corps fatigués, une pesanteur, une entrave très bien exprimés
par la chorégraphie. Restant sartrien, on se souvient alors que « l’enfer, c’est les autres ».
Mais
Lolita Bruzat et le collectif de ses danseuses belles, puissantes et virtuoses,
proposent une issue possible, alternative à la soumission et au
pessimisme : celle de l’art, de l’authenticité, du respect aussi sans
doute. Ainsi réinterprète-t-on rétroactivement le moment où les danseuses
s’habillent au début comme le moment où elles enfilent leurs costumes de
scène ; ainsi voit-on l’une d’elle, magnifique, entamer un flamenco
libérateur… C’est sans conteste un travail réussi, une conception féministe et actuelle de la danse
contemporaine, et l’on ne peut que souhaiter qu’Histoires courtes soit programmé dans le plus de salles
possibles !
9 juin 2010.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire