dimanche 30 décembre 2012

Georges-Emmanuel Clancier, un grand monsieur en ses terres

En 2001, je me demandais, dans « Plaidoyer pour un limogeage », pourquoi l’on ne rendait pas l’hommage qu’il méritait à Georges-Emmanuel Clancier# et en 2003, L’Indicible frontière avait eu le plaisir et l’honneur d’exposer au Pavillon de l’Orangerie de l’Evêché, dans le cadre de « Lire à Limoges », un texte inédit de cet écrivain sur la rue d’enfance que je partage avec lui: l’ancienne route d’Ambazac, la rue Aristide Briand aujourd’hui, texte publié ces jours-ci dans notre n°6/7. Il m’avait fait la joie immense de « préfacer » mon parcours photographique tout au long de cet axe limougeaud bordant les voies de chemin de fer… J’avais d’ailleurs apprécié qu’il revienne visiter ces lieux dans le texte qu’il avait écrit pour le cahier de Libération consacré à notre ville. Cet hommage lui a été rendu, cent ans après les « évènements » de 1905, lors d’une « Carte blanche » organisée pour A.L.C.O.L. par Olivier Thuillas, qui doit en être grandement remercié.
    Durant quelques jours, Georges-Emmanuel Clancier s’est promené à travers des terres qui lui sont chères, de Limoges à Châlus, et s’est retrouvé avec plaisir et parfois étonnement sujet de conférence et de lectures. La journée qui l’a conduit du Lycée Gay-Lussac -où il reçut l’enseignement de Jean Le Bail- au Centre culturel Robert Margerit -son grand ami dont l’ombre tutélaire l’accompagne toujours#- était l’une des plus émouvantes. Bien sûr, il retrouva les murs de notre vieux lycée, là où sa mère lui avait promis qu’il apprendrait l’anglais, ce qui lui permettrait, comme elle, de lire la légende d’une gravure familiale: « a smiling nook of green and golden shadow »…#, mais il put dire aussi aux élèves des classes de lettres supérieures qu’il préférait jadis fréquenter les « mauvais garçons », comme cet apprenti boucher avec lequel il braconnait les truites du côté de Nedde. Jeanne-Marie Baude développa, lors d’une magnifique conférence, l’idée qu’elle se fait des liens profonds entre l’enfance (multiple) de GEC et son œuvre, expliquant notamment comment il s’était approprié les enfances de ses proches pour nourrir ses écrits. Une soirée riche ponctuée de lectures par des élèves du Lycée Léonard Limosin et véritablement accompagnée par la belle diction d’Elisabeth Bollinger, la nièce de l’écrivain. Je regardais Georges-Emmanuel, pendant ces lectures, entre pénombre et lumière, assis de profil sur la scène, enfant de 91 ans, croisant les mains, redécouvrant ses textes et son œuvre décryptée, songeant à tous les siens, à cette grand-mère qui inspira « Le Pain noir », à Margerit, dont le souvenir demeure accroché aux grands arbres du parc de Thias. Il essaya d’expliquer tout cela, avec espiéglerie et intelligence, par la suite.
    L’impression qui reste de ces rencontres est celle de la générosité amusée de Clancier, poète et écrivain limougeaud, ancré dans ses « Terres de mémoire »#, et ouvert sur le vaste monde - il existe au moins un poète de cette génération limousine qui soit à la fois homme de talent, très largement reconnu, mais aussi à l’écoute des autres et des jeunes, généreux et plein d’humour. Il était là, avec nous, quelle chance!
    A un moment de cette soirée à Isle, la poète Marie-Noëlle Agniau, à qui j’avais offert les si beaux « Contre-Chants » parus chez Gallimard en 2001, m’a lancé, amusée: « Georges-Emmanuel Clancier, c’est toi »… (c’était au moment où l’écrivain raconte combien il répugnait à empaler jadis des limaces sur des hameçons). Elle ne croyait pas si bien dire! Ô certes, je ne veux pas parler ici du talent ni de la réussite, il reste du chemin à parcourir! Mais je me reconnais pleinement en cet homme et en cette écriture et de multiples signes unissent ma vie à la sienne: à la fin de l’enfance ou au début de l’adolescence, je fus bouleversé par la lecture du « Pain noir », que je vis par la suite à la télévision… Ma grand-mère Rose, je m’en souviens, s’était liée d’amitié, sur le tournage, avec le comédien Henri Virlojeux et me parlait de leurs conversations. Je me reconnus encore plus, par la suite, dans « Ces Ombres qui m’éclairent », les trois romans autobiographiques parus chez Albin Michel, où je découvris que nous avions joué, rêvé, aimé dans le même quartier, doublement protégé par le clocher de Saint-Paul Saint-Louis et par le campanile de la gare des Bénédictins. Comme lui, j’ai appris à respecter les conducteurs de locomotive: mon père en était un! Et puis cette poésie: lisible et lyrique, entre « verts paradis des amours enfantines » et histoire, poèmes du « Pain noir » et d’Oradour-sur-Glane, où mon propre travail de photographe et d’écriture me conduit ces jours-ci. Cette tentative de dire les Baléares, « de croire aux îles invisibles », que nous partageons aussi, lui dans « Terres de mémoire », moi dans « Les Poèmes de Valldemossa »# - n’est-ce pas un signe, cette communauté d’inspiration? Oui, je l’aime cette poésie: celle qui dit les « monts nocturnes », et « l’ordre des campagnes », celle qui sait dire le Noir à New-York. Cette œuvre qui se construit encore, belle et juste: « Quel autre sens/à l’errance donner/que ce récitatif/sans lettres ni vocables/du cœur en vain/menant et poursuivant/son aveugle travail. »#

    Un grand Monsieur était en ces terres, les siennes et les miennes, j’en suis heureux.

(2009)





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