Dès le premier texte,
Marie-Noëlle Agniau dit ce qu’est le poète : « Feu à l’appui d’une langue,/nous buvons ce que nul ne
réclame./Feu à l’abri d’une langue/nous brûlons. » Le poète serait
celui qui se consume (à en enlever sa peau) mais qui entretient le feu au cœur
de la langue – ce serait aussi celui qui accorderait de l’attention à ce qui
n’en reçoit pas des autres hommes. D’ailleurs, elle avait déjà évoqué « la miette des petites choses » ;
ici, il est question de « bulles de
savon » et de « cendre
fine » - la dernière qui s’embrase, comme un ultime possible ou un
ultime souvenir. Mais il serait présomptueux de vouloir tout expliquer
ici : chacun comprend à sa mesure, et c’est bien ce qui fait qu’un poème
est réussi.
Et
si ce recueil attirait l’attention sur un départ puis un retour insoupçonnés :
« Personne n’aura remarqué.
Quoi ? Ma fugue et son cortège… » ou : « Je suis le cheval… » Mais une fugue n’est souvent que
provisoire : « Je reviens de
mon égarement au lierre du jardin. » Où est partie l’auteur de ces
vers ? « Errer avec ceux qui
vont ». Qu’est devenu « le
chemin qui n’est plus irrigué » ? Pourquoi ces larmes « lourdes comme l’arête d’un
fuchsia » ? Que faut-il gommer ? La voix, le souffle, le
poème, permettent « de
reprendre », de se forger, peut-être, une « carapace », ou une « armure
ample » comme celle qu’endossent les enfants. Il faut « recoudre l’ancien cousu. » Peut-être
le poète est-il celui qui ré-enchante le monde, le fait retomber en enfance,
afin de pouvoir y vivre, malgré tout. Peut-être est-il celui qui nous fait
échapper au « chaos » en
réordonnant les mots, « Foyer d’eau
claire/entre les chaos. » Ici, les poèmes sont courts et les images
irradient : fleurs multiples, plantes nombreuses, jusqu’aux fibres. Ici
sont dits les éléments, l’eau, la terre, le feu, comme chez les bardes celtes.
Ici enfin sont les petits enfants. Et tout ceci se passe aussi en Limousin (« paille et sauge, prairie et pré,
laurier cassant »).
Le
poète est celui qui fait « état du
manque », qui tente de le combler, sans jamais y parvenir tout à fait.
C’est son travail de Sisyphe, le fils d’Eole (« Pluie est vent » ; »Rien ne vient orner la coupe./Ni le vent. »). Et plus
encore, le poète est celui qui redonne la vie : « Il neige quelque chose qui te foudroie,/alors, dans le coma./Il
neige mais je fus ta crèche. » Après, il sera possible de vivre deux
fois. « Il se relève/plusieurs
fois/à ta demande. »
Marie-Noëlle
Agniau avait déjà envisagé La Tactique des anges dans un précédent recueil.
Ici, comme toujours, les allusions sont semées par cette grande lectrice de la Bible ; si nous avons
dit celle de la crèche (avec l’âne et le bœuf) qui fut sa métaphore, nous pouvons
noter aussi, et surtout, la présence du buisson ardent : « Ardeur ardeur buisson radieux »
- c’est presque une citation de l’Exode
tel que l’a traduit François Bon :
«Il voit, et voici : le buisson
brûle de feu, mais le buisson n’est pas consumé. »[1] Et le poète est
tout à la fois Moïse et le buisson ardent qui ne se consume pas ; et
peut-être aussi un peu de cette divinité – à moins qu’il ne s’agisse de
l’inspiration – qui permet de dire à celui qui la rencontre, comme Marie-Noëlle
Agniau à la fin de son recueil : « Je
vais bien. »
C’est parce
que « l’air augmente. »
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