Max Eyrolle, on le sait, aime
adapter des textes littéraires, y compris les siens, sur la scène de son
théâtre Expression 7 à Limoges. Il y a quelques années, il avait choisi la
comédienne Julie Lalande pour interpréter avec talent des nouvelles de
Tchekhov. Cette année 2009, il a travaillé à nouveau la forme courte avec elle
à partir de L’autoroute du Sud,
extraite d’un livre du franco-argentin Julio Cortazar : Tous les feux le feu, réédité en 2004
par Gallimard dans sa belle collection « L’Imaginaire ». Lit-on
encore Cortazar aujourd’hui ? On devrait, en tout cas, pour ce style riche
et inimitable, ouvrant sur l’imaginaire et le fantastique, un style qui semble fait aussi pour le théâtre, tant il
porte en lui de possibilités narratives. Julie Lalande s’empare avec simplicité
de ce texte pour nous raconter une histoire qui semble banale mais bascule
rapidement dans une sorte d’ailleurs onirique. La mise en scène, au cordeau, ne
déborde jamais du texte, l’accompagne plutôt avec discrétion et pertinence,
pour le servir au mieux.
Des
voitures sont bloquées sur l’autoroute du Sud pour une raison que l’on ignore
et que les rumeurs les plus farfelues transmises de véhicule à véhicule
n’arrivent pas à expliquer. Et le temps, étrangement, s’étire indéfiniment,
d’heure en heure, de jour en jour, sans doute de mois en mois, jusqu’à devenir
une possible métaphore de la vie, avec des histoires d’amour, des lâchetés (le
vol d’une orange), un suicide ou la mort d’une vieille dame. Max Eyrolle nous
propose d’entrer dans une autre dimension, de sortir de la banalité
de l’embouteillage et de l’indifférence des voisins d’infortune pour
imaginer, avec Julio Cortazar et Julie Lalande, d’autres relations humaines. Et
si l’on était obligés de se parler, soudain, de vivre ensemble vraiment, de se
souvenir que nous sommes une société et pas seulement des individus, que se
passerait-il ? Voici resurgir l’humanité sur un ruban d’asphalte. Sur la
scène sont dispersés des pages et des pages de livres, comme pour nous rappeler
que tout ceci n’est que littérature, où sont immobilisées des petites voitures,
peut-être les dinky toys chères à Pierre Bergounioux. En 1966, lorsque fut
écrit cette nouvelle, les voitures portaient des noms qui donnent au texte une
sorte de poésie répétitive, exotique, teintée de nostalgie pour ceux qui, comme
moi, les ont connues : Dauphine, Taunus, DS, 404, Ariane, ou DKW. Par un
effet de métonymie, les naufragés de la route ne sont plus désignés que par les
noms de leur véhicule, revêtant ainsi une sorte de nouvelle identité leur
permettant d’échapper aux habitudes et d’espérer vivre une nouvelle existence.
Une nouvelle société s’ébauche ici, de nouvelles solidarités, pour trouver de
la nourriture, pour assouvir sa soif, pour prendre soin des plus faibles. On
songe alors à toutes les utopies... On se souvient également de Malevil, le roman de Robert Merle adapté
au cinéma par Christian de Chalonge en 1980, où deux communautés ayant survécu
à une catastrophe nucléaire réinventaient différemment le vivre ensemble. Même
si le monde extérieur menace les prisonniers de l’Autoroute du Sud, si le froid les pétrifie, si la neige les
enveloppe, même si les paysans des campagnes environnantes sont prêts à couper
des têtes avec leurs faux, parce que l’étrangeté de la situation les dérange,
même si l’histoire dite avec efficacité par la comédienne prend parfois des
allures de thriller, le rêve et la légèreté semblent toujours proches : le
temps d’un tango chanté par Carlos Gardel, de quelques mesures de jazz
hollywoodiennes ou d’une chanson à la Neil Young... le temps d’un verre de vin
partagé... l’espace d’une marelle improvisée en quête de paradis (peut-être le
souvenir d’un autre livre de Cortazar, construit en 1963 selon les règles du
jeu enfantin). Ce que nous disent ici Cortazar et Eyrolle, c’est que l’humanité
et la fraternité sont toujours possibles, à portée de phrase ou de geste. Mais
on l’oublie trop souvent et le propre des rêve est de se dissiper, comme les
bouchons.
Après
le texte de Cortazar vient un court-métrage de Max Eyrolle, Les Rêves de l’Autoroute du Sud, images
et petites scènes en écho au texte, rires forcés, circulation, petits drames et
arrangements de la société contemporaine, cimetière d’automobiles, beauté
fugitive de regards intenses... d’où se dégagent les plans d’une attente
incertaine dans un vieil autobus abandonné près d’un étang. Un homme, une
femme, désoeuvrés face au temps qui passe – comme pour dire l’absurdité de la
vie.
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