vendredi 21 décembre 2012

C’est un beau roman, c’est une belle histoire... Max Eyrolle adapte L’autoroute du Sud de Cortazar



Max Eyrolle, on le sait, aime adapter des textes littéraires, y compris les siens, sur la scène de son théâtre Expression 7 à Limoges. Il y a quelques années, il avait choisi la comédienne Julie Lalande pour interpréter avec talent des nouvelles de Tchekhov. Cette année 2009, il a travaillé à nouveau la forme courte avec elle à partir de L’autoroute du Sud, extraite d’un livre du franco-argentin Julio Cortazar : Tous les feux le feu, réédité en 2004 par Gallimard dans sa belle collection « L’Imaginaire ». Lit-on encore Cortazar aujourd’hui ? On devrait, en tout cas, pour ce style riche et inimitable, ouvrant sur l’imaginaire et le fantastique, un style qui semble fait aussi pour le théâtre, tant il porte en lui de possibilités narratives. Julie Lalande s’empare avec simplicité de ce texte pour nous raconter une histoire qui semble banale mais bascule rapidement dans une sorte d’ailleurs onirique. La mise en scène, au cordeau, ne déborde jamais du texte, l’accompagne plutôt avec discrétion et pertinence, pour le servir au mieux.
            Des voitures sont bloquées sur l’autoroute du Sud pour une raison que l’on ignore et que les rumeurs les plus farfelues transmises de véhicule à véhicule n’arrivent pas à expliquer. Et le temps, étrangement, s’étire indéfiniment, d’heure en heure, de jour en jour, sans doute de mois en mois, jusqu’à devenir une possible métaphore de la vie, avec des histoires d’amour, des lâchetés (le vol d’une orange), un suicide ou la mort d’une vieille dame. Max Eyrolle nous propose d’entrer dans une autre dimension, de sortir de la banalité de l’embouteillage et de l’indifférence des voisins d’infortune pour imaginer, avec Julio Cortazar et Julie Lalande, d’autres relations humaines. Et si l’on était obligés de se parler, soudain, de vivre ensemble vraiment, de se souvenir que nous sommes une société et pas seulement des individus, que se passerait-il ? Voici resurgir l’humanité sur un ruban d’asphalte. Sur la scène sont dispersés des pages et des pages de livres, comme pour nous rappeler que tout ceci n’est que littérature, où sont immobilisées des petites voitures, peut-être les dinky toys chères à Pierre Bergounioux. En 1966, lorsque fut écrit cette nouvelle, les voitures portaient des noms qui donnent au texte une sorte de poésie répétitive, exotique, teintée de nostalgie pour ceux qui, comme moi, les ont connues : Dauphine, Taunus, DS, 404, Ariane, ou DKW. Par un effet de métonymie, les naufragés de la route ne sont plus désignés que par les noms de leur véhicule, revêtant ainsi une sorte de nouvelle identité leur permettant d’échapper aux habitudes et d’espérer vivre une nouvelle existence. Une nouvelle société s’ébauche ici, de nouvelles solidarités, pour trouver de la nourriture, pour assouvir sa soif, pour prendre soin des plus faibles. On songe alors à toutes les utopies... On se souvient également de Malevil, le roman de Robert Merle adapté au cinéma par Christian de Chalonge en 1980, où deux communautés ayant survécu à une catastrophe nucléaire réinventaient différemment le vivre ensemble. Même si le monde extérieur menace les prisonniers de l’Autoroute du Sud, si le froid les pétrifie, si la neige les enveloppe, même si les paysans des campagnes environnantes sont prêts à couper des têtes avec leurs faux, parce que l’étrangeté de la situation les dérange, même si l’histoire dite avec efficacité par la comédienne prend parfois des allures de thriller, le rêve et la légèreté semblent toujours proches : le temps d’un tango chanté par Carlos Gardel, de quelques mesures de jazz hollywoodiennes ou d’une chanson à la Neil Young... le temps d’un verre de vin partagé... l’espace d’une marelle improvisée en quête de paradis (peut-être le souvenir d’un autre livre de Cortazar, construit en 1963 selon les règles du jeu enfantin). Ce que nous disent ici Cortazar et Eyrolle, c’est que l’humanité et la fraternité sont toujours possibles, à portée de phrase ou de geste. Mais on l’oublie trop souvent et le propre des rêve est de se dissiper, comme les bouchons.
            Après le texte de Cortazar vient un court-métrage de Max Eyrolle, Les Rêves de l’Autoroute du Sud, images et petites scènes en écho au texte, rires forcés, circulation, petits drames et arrangements de la société contemporaine, cimetière d’automobiles, beauté fugitive de regards intenses... d’où se dégagent les plans d’une attente incertaine dans un vieil autobus abandonné près d’un étang. Un homme, une femme, désoeuvrés face au temps qui passe – comme pour dire l’absurdité de la vie.

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