L’année de la naissance de mon père, rue du Pont Saint-Martial à Limoges,
où nos ancêtres étaient commerçants ou artisans, ferblantiers, vendeurs
d’articles d’occasion ou peintres en bâtiment, Jean Mantelet, qui allait fonder
Moulinex, déposa le brevet du presse-purée à manivelle, ou moulinette
presse-légumes. Ce que ne savait pas encore Jean-Marie, qui criait dans son
berceau devant le regard étonné de ses parents, c’est que sa vie, comme toutes
les autres, s’écoulerait comme les pommes de terre broyées par le fer :
presse-purée d’émotions et de sentiments, mélange malaxé d’évènements,
d’accords de jazz, de baignades dans les eaux de la Vienne, de fumées des
machines à vapeur qui l’emporteraient au loin, des coups de pédale qu’il lui
faudrait donner pour grimper tous les cols de France et de Navarre,
presse-purée de drapeaux rouges et tricolores, du sable sec d’Algérie, des
regards de ma mère du côté de Barcelone ou de Séville, presse-purée des nuages
qui filent au-dessus de l’océan et de l’île de Groix. Cette année-là, le
paquebot français Georges Philipar coula au large de Djibouti, entraînant ses
passagers tout au fond, tout au fond. Parmi eux, un certain Albert Londres.
Presse-purée : la vie, quelle rigolade ! En 1936, Emile Bourdelas se
pendit à une poutre du grenier, pendant que les autres chantaient Le temps des cerises. Un obus l’avait
enseveli en 17, du côté de Verdun. La guerre, le presse-purée des corps et des
cœurs, un peu de chair, beaucoup de sang et de la terre. Ses camarades l’avaient
déterré. La mort est ce qu’elle est. Quatre années plus tard, le père de mon
père s’est retrouvé prisonnier de l’autre côté du Rhin. Pour cinq ans. Le vol noir des corbeaux sur la plaine.
Quelque chose s’est cassé.
Moi, je suis né l’année où le France a largué les amarres. Et je suis
entré en entier dans le presse-purée. Le même. Le premier numéro de Salut les copains ! venait de
paraître. Je suis monté sur un vélo. J’ai couru, couru, en écoutant de la
musique. Et le temps a passé.
La Vienne,
la Vienne a
continué de couler.
30 septembre 2012.
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