Elle est née en septembre 1993 à
Nuremberg (comme son lointain compatriote Albrecht Dürer) et le Centre de la mémoire
d’Oradour-sur-Glane ainsi que la mairie de la ville accueillent ses toiles
inspirées par le massacre de 642 personnes – hommes, femmes et enfants – le 10
juin 1944, par la Division S.S.
Das Reich, après être venue arpenter
les rues du village martyr, « ce
lieu qui n’en [est] pas un, le lieu
de toute absence », écrit-elle. Elle y a senti, d’une certaine
manière : l’humanité éternelle, à la fois celle de la sauvagerie et celle
de l’espoir. Elle a décrypté le lieu et la tragédie qui s’y est déroulée à la
lumière – et à l’ombre – de la mythologie grecque. La Glane s’est effectivement
transformée en Achéron ou en fleuve Léthé, et les chiens des nazis
ressemblaient bien au terrible Cerbère.
Il
n’est pas anodin, bien sûr, que ce soit une jeune Allemande qui s’empare, qui
étreigne et peigne ce drame devenu plus que lui-même, c’est-à-dire l’expression
de la folie et de la cruauté guerrières universelles. Comme Denise Bardet,
l’une des jeunes institutrices sacrifiées du village – qui rêvait de devenir
écrivain – avait écrit peu avant de mourir dans l’église qu’il ne fallait pas
confondre la civilisation allemande et les barbares hitlériens, Lena Dobner
vient apporter sa vision d’artiste issue de cette grande culture (ainsi
cite-t-elle Rilke) sur le drame qui survint au cœur presque assoupi de la
campagne limousine. Elle en perçoit l’horreur et la complexité et tente de les
penser. Elle les ressent et les exprime. La guerre, le massacre et la
mythologie y sont représentés à la fois figurativement et symboliquement (les
corbeaux comme pressentiment de la mort en référence à Van Gogh, ou le symbole
des couleurs) et les différents tableaux/fresques, de grande taille, y montrent
simultanément le jour de la tuerie et le village en ruines tel qu’il est
aujourd’hui. C’est donc à la fois un travail sur l’histoire et sur la mémoire. Une
œuvre qui n’hésite pas à intégrer aussi kabbale et symbolique des nombres (le
4, en particulier, dans la représentation de l’intérieur de l’église), même si
elle dit ne pas y croire – mais on peut comprendre le recours à l’ésotérisme
pour tenter de comprendre l’incompréhensible. Lena Dobner, artiste de la jeune
génération européenne, confère une force neuve à ce qui s’est passé à Oradour,
elle en ravive étrangement et paradoxalement la vie, les sensations, la
violence, et l’on pense au choc de Guernica, en 1937.
Une
chose me touche particulièrement : sa réflexion à propos de la nature
reprenant ses droits sur la pierre des ruines. C’était le thème de l’un de mes
travaux photographiques, à Oradour, au milieu des années 2000. Elle
écrit : « Tu vois par exemple
comme les pissenlits poussent dans certaines fissures de murs. (Comme la nature
peut même être impassiblement sans vergogne). Mais pas simplement comme ça ou
parce que tu as peut-être peur que l’herbe puisse pousser par-dessus, ou que tu
crains que l’immoralité de la nature transperce la fine peau de la
civilisation, mais parce qu’à travers tes yeux, tu regardes au-delà (…) Parce
que maintenant c’est au-dedans de toi. » Toute sa vie – surtout toute
sa vie d’artiste –, cela sera
effectivement en elle et en son œuvre, c’est inévitable. C'est-à-dire que dans
ses tableaux à venir, même sur bien d’autres thèmes, il y aura ce souvenir
d’Oradour, comme une genèse.
17 juillet 2012.
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