C’est un exercice récurrent de
l’art et de la littérature : dire, exprimer, la disparition de l’être aimé,
en particulier de la mère. Dans Une mort
très douce, Beauvoir s’interrogeait : « Pourquoi la mort de ma mère m'a-t-elle si vivement
secouée? » - mais comment pourrait-il en être autrement ? Meursault
dans L’Etranger, enterre sa mère sans
émotion particulière... et chez Franck Villemaud, comme toujours dans la vie,
l’affairement pratique qui entoure la disparition semble masquer les émotions. L’écrivain,
dans une suite de courts textes parue au Bruit
des autres, commençant tous par : « A
la mort de ma mère », amère litanie, raconte les jours qui suivent le
décès de celle-ci. Infimes détails, occupations très prosaïques, indications
que l’on pourrait trouver scabreuses, comme replier un peu les jambes de la
morte pour qu’elle loge dans un cercueil plus petit pour tenir dans le caveau,
garde nécessaire des enfants, avis d’obsèques, préparatifs religieux, etc.
Parfois même, le trivial semble l’emporter, y compris dans le vocabulaire.
En
fait, sous son aspect behavioriste et sans transcendance (même si les enfants
se demandent où la morte va dormir dans le ciel), l’oeuvre de Franck Villemaud
est une tentative de dire les choses en vérité, qui se transforme
progressivement en poème subtil et souvent drôle, d’où sourd progressivement
l’émotion. L’humour aide à dédramatiser, sans doute : les chaussures
deviennent des « pompes
funèbres » et le fils veut manger du crabe pour se venger du cancer de
sa mère. Avec une grande économie de mots, renforcée par la désignation des
protagonistes les plus proches par leurs initiales, l’auteur sait montrer la
tristesse et le désarroi du père et des enfants, accompagnés par les conjoints
et la famille, les amis – ceux pour qui on n’a pas toujours eu assez de
sollicitude –, et par l’Eglise, à propos de laquelle Franck Villemaud, qui se
refuse à prendre le goupillon, ironise : « ... la plupart de ceux qui ont pris la parole ont dit beaucoup
de bien de Dieu. Il a même été remercié plusieurs fois. » Car ce
travail est aussi, peut-être, celui d’une désacralisation, pour aller vers
l’essentiel. Dans The Big Lebowski, le
film de Joel Coen, les cendres de l’ami jeté vers l’océan reviennent maculer
les vivants. Ici, ce sont les petits gestes d’intimité et de sympathie, puis le
souvenir de la mère, de son visage ravagé par la maladie, qui viendront cribler
le narrateur, jusqu’aux larmes.
Il
y a un très beau passage où le fils oublie sur un muret la petite bougie rouge
allumée pendant la cérémonie : la métaphore de ce livre écrit pour dire
simplement un amour, un recueil qui brille et partagé avec les lecteurs, à qui
il servira peut-être un jour d’exorcisme aux grandes tristesses...
8 mai 2008
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