vendredi 21 décembre 2012

Présente Comme si elle n’était pas là : un livre subtil et émouvant de Franck Villemaud



C’est un exercice récurrent de l’art et de la littérature : dire, exprimer, la disparition de l’être aimé, en particulier de la mère. Dans Une mort très douce, Beauvoir s’interrogeait : « Pourquoi la mort de ma mère m'a-t-elle si vivement secouée? » - mais comment pourrait-il en être autrement ? Meursault dans L’Etranger, enterre sa mère sans émotion particulière... et chez Franck Villemaud, comme toujours dans la vie, l’affairement pratique qui entoure la disparition semble masquer les émotions. L’écrivain, dans une suite de courts textes parue au Bruit des autres, commençant tous par : « A la mort de ma mère », amère litanie, raconte les jours qui suivent le décès de celle-ci. Infimes détails, occupations très prosaïques, indications que l’on pourrait trouver scabreuses, comme replier un peu les jambes de la morte pour qu’elle loge dans un cercueil plus petit pour tenir dans le caveau, garde nécessaire des enfants, avis d’obsèques, préparatifs religieux, etc. Parfois même, le trivial semble l’emporter, y compris dans le vocabulaire.
            En fait, sous son aspect behavioriste et sans transcendance (même si les enfants se demandent où la morte va dormir dans le ciel), l’oeuvre de Franck Villemaud est une tentative de dire les choses en vérité, qui se transforme progressivement en poème subtil et souvent drôle, d’où sourd progressivement l’émotion. L’humour aide à dédramatiser, sans doute : les chaussures deviennent des « pompes funèbres » et le fils veut manger du crabe pour se venger du cancer de sa mère. Avec une grande économie de mots, renforcée par la désignation des protagonistes les plus proches par leurs initiales, l’auteur sait montrer la tristesse et le désarroi du père et des enfants, accompagnés par les conjoints et la famille, les amis – ceux pour qui on n’a pas toujours eu assez de sollicitude –, et par l’Eglise, à propos de laquelle Franck Villemaud, qui se refuse à prendre le goupillon, ironise : « ... la plupart de ceux qui ont pris la parole ont dit beaucoup de bien de Dieu. Il a même été remercié plusieurs fois. » Car ce travail est aussi, peut-être, celui d’une désacralisation, pour aller vers l’essentiel. Dans The Big Lebowski, le film de Joel Coen, les cendres de l’ami jeté vers l’océan reviennent maculer les vivants. Ici, ce sont les petits gestes d’intimité et de sympathie, puis le souvenir de la mère, de son visage ravagé par la maladie, qui viendront cribler le narrateur, jusqu’aux larmes.
            Il y a un très beau passage où le fils oublie sur un muret la petite bougie rouge allumée pendant la cérémonie : la métaphore de ce livre écrit pour dire simplement un amour, un recueil qui brille et partagé avec les lecteurs, à qui il servira peut-être un jour d’exorcisme aux grandes tristesses...

            8 mai 2008
             
           

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