Non
loin de Bellac, au nord de Limoges, au pied des Monts de Blond, le magnifique
village de Mortemart – dont le château des ducs vit naître la Montespan – accueille
les touristes mais aussi des poètes ! Ce qui les attire là, c’est une
maison à échauguette, celle des Rougerie : René, fils de résistant (et
résistant lui-même) – relayé par son fils Olivier –, ancien revuiste, avec de
prestigieux compagnons, de Centres,
de Réalités secrètes, de Poésie Présente, éditeur surtout, et son
épouse Marie-Thérèse Régerat,
émailleuse. Comment ne pas être d’accord avec Charles Dobzynski : « René Rougerie appartient à cette
famille peu nombreuse mais prestigieuse d’éditeurs qui font l’histoire de la
poésie. » Tous ceux qui connaissent son catalogue le savent : on
y rencontre Pierre-Albert Birot, Gilles Baudry, Marcel Béalu, Pierre Béarn, Luc
Bérimont, Robert (Bob) Giraud, Alain Borne, Jean Bouhier, Joë Bousquet, les
Cadou, Jean Follain, Max Jacob, Gérard Le Gouic, Jean Rousselot,
Saint-Pol-Roux, et tant d’autres, sans oublier Les Cantilènes en gelée de Boris Vian. Dans le 1er
numéro de Poésie Présente, Rougerie
postulait : « Je publierai donc
ce que j’aime. Revendiquant même le droit de me tromper. Refusant toutes les
étiquettes, ne me laissant enfermer dans aucun système. Capable d’aimer aussi
bien une poésie lyrique que celle concise où chaque mot porte son poids. »
(Et ce fut aussi un beau numéro spécial consacré aux poètes amérindiens…). Longtemps,
Rougerie, ce furent des recueils blancs typographiés sur du beau papier
bouffant – de ces beaux livres dont il fallait couper les pages – avec des
titres en caractères rouges : l’élégance au service de la vraie poésie.
C’est à juste raison que la Bibliothèque
Francophone Multimédia de Limoges lui avait rendu hommage dès
son ouverture il y a une dizaine d’années.
Après
avoir fustigé les foires aux livres dans La Fête des ânes (au moment où triomphait celle
de Brive, par exemple), Rougerie publia, en 1988, Henri Nanot (1921-1962), un amour fou de liberté, suivi dans le
même volume d’extraits de Scènes de la
vie du maquis de Henri Nanot (Editions Lucien Souny). Un hommage mérité à
un agriculteur, ancien FTP du Maquis de Guingouin, opposé à la guerre
d’Algérie. Arrêté en 1957 suite à des attentats à Masseret (19) semblant viser
un sénateur, il est arrêté, tabassé, interné, mais ne cesse de clamer son
innocence. Il meurt terrassé par la folie, en juin 1962. René Rougerie nous
apprit que Nanot était un passionné de littérature et de poésie, ami d’André
Breton et du surréaliste Jehan Mayoux. Cet ouvrage était écrit pour rétablir
une injustice et faire découvrir un homme de valeur.
L’homme,
petit et sec, regard perçant, ne mâchait jamais ses mots, y compris à propos
des fonctionnaires de la culture. Je n’ai
pas oublié la visite de Mortemart qu’il me commenta l’été 2003 et je l’ai revu
pour la dernière fois à l’occasion de l’hommage rendu à Limoges à l’un de
« ses » auteurs, le grand poète limousin Joseph Rouffanche, Prix
Mallarmé. Début 2010, il publia l’œuvre
poétique d’un autre grand poète : Xavier Grall, et il faut lui en être
reconnaissant. Il illustrait ainsi une nouvelle fois la connexion vivace entre
Bretagne et Limousin ; et c’est à l’occasion d’un déplacement à Lorient –
où il déposait Les Litanies de la mer de
Saint-Pol-Roux – qu’il est décédé, à l’âge de 84 ans. Alors faisons-lui
l’offrande de quatre vers de Grall : « Adieu
les maisons mourantes/Comme les pluies sont navrantes !/La vie est cette flamme/Sous
les braises gisantes ».
Port-Louis/Limoges,
mars 2010.
[1] Dernier ouvrage
paru : Du Pays et de l’Exil, Un
Abécédaire de la littérature du Limousin », postface de Pierre
Bergounioux, Les Ardents Editeurs, Limoges, 2008.
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