vendredi 21 décembre 2012

Pour un oui pour un non

Nathalie Sarraute, rattachée dans tous les esprits à l'ennuyeuse tentative du Nouveau Roman, a livré avec "Pour un oui pour un non" un très beau, limpide et perspicace texte sur l'amitié, mis en scène par Philippe Carbonneaux (et en musique très "contemporaine" - accordéon et violon- par François Marillier) et interprété avec talent et justesse par les comédiens et musiciens Anne-marie Bisaro, Jean-Philippe Labadie, Emmanuelle Laborit, Antoine de La Morinerie, Aristide Legrand et Chantal Liennel. Un spectacle qui réunit littérature, théâtre et chorégraphie (ou presque), puisqu'il mélange comédiens sans handicaps et comédiens sourds pratiquant la langue des signes, très belle à simplement regarder. Un formidable travail d'adaptation et de traduction, on s'en doute, très rigoureux, de cette langue des signes au texte de l'écrivain.
Le metteur en scène couple aux deux comédiens qui parlent "de vive voix" deux comédiennes qui traduisent leurs, propos en, langue des signes: eux sont en noir, elles sont en beige, il n'y a pas de décor, simplement les lumières de Matthieu Ferry. H 1 et H2, les protagonistes, sont des amis intimes de longue date, depuis l'enfance et l'époque où ils faisaient de l'alpinisme ensemble;l'un semble installé dans le confort apparent du conformisme familial et de la paternité assumée et démonstrative, l'autre évolue dans les affres de l'instabilité et fréquente les poètes, Verlaine en particulier. Pour un rien -ce presque rien cher à Jankélévitch-, une broutille, une intonation de voix, ils en viennent à tout se reprocher, eux qui n'ont justement rien à se reprocher d'autre que cette amitié, cet amour presque, qui les unit si profondément et depuis si longtemps. La conversation qui les oppose et s'envenime ira même jusqu'à d'étranges révélations: « j'ai eu envie de te tuer »  avoue l'un des deux. Où l'on réalise que l'amitié est ambiguë comme une guerre de tous les instants, s'entretient, se ménage, réjouit et blesse, se préserve, est menacée en permanence, semblable à un fil ténu de rosée qui relie deux herbes à l'aube. Au bout de cette échauffourée, les deux amis ne rompront pas... Les quatre comédiens et les deux musiciens, parfois pris à parti comme on somme parfois ses voisins de se prononcer dans une querelle d'amoureux, sont merveilleux d'agilité, d'intelligence, d'émotion et de précision. Parfois, les "traductrices" semblent échapper à la trop évidente parole pour montrer ce que ressentent toujours les deux débatteurs et, tandis que le texte les oppose, elles s'embrassent tendrement.
Le langage double ici parlé, si parfaitement synchrone, est universel, c'est celui de notre complexe, dérisoire et émouvante humanité.

26 septembre 2001.



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