Réminiscences du
bonheur, souvenirs de l’Eden coloré et parfumé, vivant, bruyant et odoriférant,
sucré... joie de tous les sens : voilà ce que nous offre d’abord Muriel
Mingau dans son nouveau recueil : manguier, rythme du djembé, voix
d’enfants, « île aux fleurs sous les
alizés », défilé des femmes portant sur leurs têtes des pyramides de
fleurs et de fruits, « kermesse
joyeuse et pieuse ». Nous sommes à ses côtés dans le bonheur simple de
ce paradis perdu, nous recevons avec elle la minuscule offrande déposée sur le
pas de porte pour le voyageur. Mais, très vite, « le sable refroidit » et il faut s’arracher à cette
douceur initiale, à cette genèse, pour retrouver des cieux plus gris et plus
froids où certains se sentent étrangers, mêmes si les constellations observées
donnent un semblant de réconfort. Muriel Mingau va s’approcher au plus près de
cette étrangeté tout au long de son recueil dont les textes et les tons sont
multiples, toujours entre poésie et prose, litanie et presque rap, et ne
laissent jamais indifférents. Il est ici question de l’ « écume d’humanité », de rencontres, d’interrogations
incessantes, de souffrances, d’incompréhensions mutuelles, depuis l’esclavage,
depuis la colonisation, depuis toujours peut-être (on l’a dit, le paradis est
perdu...) ; parfois même il s’agit de ceux qui sont étrangers sur leur
propre terre. Les dépossédés, les proscrits, voilà ceux à qui l’auteur prête sa
voix empathique. Les Noirs, les Amérindiens, les Polynésiens, et tous les
autres. Soumis par la force et pour l’argent. Les caisses à dollar sont pleines
et les petits enfants mal nourris ont le ventre ballonné. Alors les touristes
leur offrent du pain et les transforment en mendiants ou les poussent à partir
vers des mirages vite et cruellement dissipés. Les textes de Muriel Mingau sont
ceux d’une écorchée vive qui dénonce les injustices, les inégalités, les pièces
minuscules où des femmes mariées de force s’étiolent, les pays où l’on ne peut
soigner les enfants. Ils sont ceux d’une révoltée que le racisme « ordinaire » afflige. Et
pourtant, elle dit aussi que le paradis n’est pas si loin, sur une île, sans
doute, ou plus vraisemblablement en elle : oui, elle le porte, tout chaud
et tout petit, irradiant, quand elle marche sous la pluie sans vraiment savoir
pourquoi. Sa poésie est le début d’un exorcisme, voilà à quoi sert « toute cette littérature » à
propos de laquelle elle s’interroge ; sa voix, comme d’autres, est une
résistance, nécessaire, folle et opiniâtre. Avec elle, « nous marchons en discutant à voix douce », en nous
disant que tout n’est peut-être pas perdu.
Mercredi 11
juin 2008
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