vendredi 21 décembre 2012

Paradis à perdre de Muriel Mingau



Réminiscences du bonheur, souvenirs de l’Eden coloré et parfumé, vivant, bruyant et odoriférant, sucré... joie de tous les sens : voilà ce que nous offre d’abord Muriel Mingau dans son nouveau recueil : manguier, rythme du djembé, voix d’enfants, « île aux fleurs sous les alizés », défilé des femmes portant sur leurs têtes des pyramides de fleurs et de fruits, « kermesse joyeuse et pieuse ». Nous sommes à ses côtés dans le bonheur simple de ce paradis perdu, nous recevons avec elle la minuscule offrande déposée sur le pas de porte pour le voyageur. Mais, très vite, « le sable refroidit » et il faut s’arracher à cette douceur initiale, à cette genèse, pour retrouver des cieux plus gris et plus froids où certains se sentent étrangers, mêmes si les constellations observées donnent un semblant de réconfort. Muriel Mingau va s’approcher au plus près de cette étrangeté tout au long de son recueil dont les textes et les tons sont multiples, toujours entre poésie et prose, litanie et presque rap, et ne laissent jamais indifférents. Il est ici question de l’ « écume d’humanité », de rencontres, d’interrogations incessantes, de souffrances, d’incompréhensions mutuelles, depuis l’esclavage, depuis la colonisation, depuis toujours peut-être (on l’a dit, le paradis est perdu...) ; parfois même il s’agit de ceux qui sont étrangers sur leur propre terre. Les dépossédés, les proscrits, voilà ceux à qui l’auteur prête sa voix empathique. Les Noirs, les Amérindiens, les Polynésiens, et tous les autres. Soumis par la force et pour l’argent. Les caisses à dollar sont pleines et les petits enfants mal nourris ont le ventre ballonné. Alors les touristes leur offrent du pain et les transforment en mendiants ou les poussent à partir vers des mirages vite et cruellement dissipés. Les textes de Muriel Mingau sont ceux d’une écorchée vive qui dénonce les injustices, les inégalités, les pièces minuscules où des femmes mariées de force s’étiolent, les pays où l’on ne peut soigner les enfants. Ils sont ceux d’une révoltée que le racisme « ordinaire » afflige. Et pourtant, elle dit aussi que le paradis n’est pas si loin, sur une île, sans doute, ou plus vraisemblablement en elle : oui, elle le porte, tout chaud et tout petit, irradiant, quand elle marche sous la pluie sans vraiment savoir pourquoi. Sa poésie est le début d’un exorcisme, voilà à quoi sert « toute cette littérature » à propos de laquelle elle s’interroge ; sa voix, comme d’autres, est une résistance, nécessaire, folle et opiniâtre. Avec elle, « nous marchons en discutant à voix douce », en nous disant que tout n’est peut-être pas perdu.

            Mercredi 11 juin 2008

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