vendredi 21 décembre 2012

La Tactique des anges de Marie-Noëlle Agniau



Ainsi, selon Marie-Noëlle Agniau citant Sylvie Germain : « on marche toujours dans les pas des morts » et le travail du poète serait peut-être de « rendre claire la langue des touts-petits » (Salomon). Cette poète, que l’on apprécie, écrit depuis toujours (aussi) pour conjurer une absence, celle du frère perdu (« Tu ne fus jamais là »), dont l’être tout entier n’est qu’un « futur antérieur » et dont la naissance serait par là même devenue « noire ». C’est la « cicatrice » initiale. Le poème devient alors la métaphore d’une « attente inconsolable » dans « la chambre vacante ». Mais réduire l’œuvre de Marie-Noëlle Agniau à cette conjuration (au sens médiéval de la formule qui chasse les démons, qui empêcherait des oiseaux maléfiques de soulever « dans leurs serres/le vide comme un drap ») serait une erreur, puisque celle-ci s’enrichit de diverses célébrations – à commencer par celles d’autres enfants (les siens). Conjuration, célébrations, contemplations aussi, jusqu’à celles des « siestes animales » ou de la forêt « proie de lumière ».  Naissance perdue (« déjà les plus faibles se mettent à rouler hors le monde »), naissances effectives, tentative de préservation de l’enfance en soi, venue du poème : « naître avance/à tâtons », prévient l’auteur. Attente du poème et de l’enfant à naître. Son travail de vie et de mémoire, de sœur et de femme, est aussi celui de la poète : « La bouche est le retrait/où se trame l’extérieur:/non pas détruit,/vacillant. » Voici la poésie retenant le fugitif, conjurant cette fois, en la disant, la vacillation, autre mot issu des profondeur du Moyen Age où il disait l’incertain du sort des armes. Pauvres armes que celles du poète, n’est-ce pas : pour Victor Hugo, « un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur » jeté sur la tombe de Léopoldine dans l’un des plus émouvants textes de la littérature, bouquet que l’on retrouve chez Marie-Noëlle Agniau avec cet oiseau qui « continue/tant qu’il peut/son actif bouquet/d’air. » Dans la permanence du style, une nouveauté chez elle : la brièveté de textes les faisant ressembler à des psaumes, ce qui n’est pas étonnant chez cette lectrice de la Bible.
            Quelle est cette  tactique des anges ? D’ailleurs quels sont ces anges : les messagers ? ceux qui ne sont plus du monde des vivants mais les accompagnent ? L’ange contre qui Jacob dut se battre sans comprendre l’enjeu de la lutte ? Le poème n’essaie-t-il pas d’élucider ce mystère sculpté aux tympans des églises ? La tactique est-elle bénéfique ? Permet-elle l’inspiration ? Le poème peut-il aider à comprendre ? Avec ces beaux textes écrits dans une langue pure et signifiante, Marie-Noëlle Agniau « restaure l’amande » ; c’est-à-dire qu’elle sculpte une mandorle pour les divers petits anges qui l’accompagnent et l’inspirent – c’est cela, le travail du poète. Je me souviens, en la lisant, de Borges : «je tiens à grande faveur de partager cette veille/réunie autour de ce que personne ne sait, du Mort,/réunie pour isoler ou pour garder sa première nuit dans la mort. » Cela rejoint ce qu’elle écrit : « J’ai donc une cause secrète/semblable aux noires violettes. » La tactique des anges, c’est de nous faire partager ce secret.

Mercredi 16 janvier 2008

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