Ainsi, selon
Marie-Noëlle Agniau citant Sylvie Germain : « on marche toujours dans les pas des morts » et le
travail du poète serait peut-être de « rendre
claire la langue des touts-petits » (Salomon). Cette poète, que l’on
apprécie, écrit depuis toujours (aussi) pour conjurer une absence, celle du
frère perdu (« Tu ne fus jamais
là »), dont l’être tout entier n’est qu’un « futur antérieur » et dont la naissance serait par là
même devenue « noire ». C’est
la « cicatrice » initiale. Le
poème devient alors la métaphore d’une « attente
inconsolable » dans « la
chambre vacante ». Mais réduire l’œuvre de Marie-Noëlle Agniau à cette
conjuration (au sens médiéval de la formule qui chasse les démons, qui
empêcherait des oiseaux maléfiques de soulever « dans leurs serres/le vide comme un drap ») serait une
erreur, puisque celle-ci s’enrichit de diverses célébrations – à commencer par
celles d’autres enfants (les siens). Conjuration, célébrations, contemplations
aussi, jusqu’à celles des « siestes
animales » ou de la forêt « proie
de lumière ». Naissance perdue
(« déjà les plus faibles se mettent
à rouler hors le monde »), naissances effectives, tentative de
préservation de l’enfance en soi, venue du poème : « naître avance/à tâtons », prévient l’auteur. Attente du
poème et de l’enfant à naître. Son travail de vie et de mémoire, de sœur et de
femme, est aussi celui de la poète : « La
bouche est le retrait/où se trame l’extérieur:/non pas
détruit,/vacillant. » Voici la poésie retenant le fugitif, conjurant
cette fois, en la disant, la vacillation,
autre mot issu des profondeur du Moyen Age où il disait l’incertain du sort des
armes. Pauvres armes que celles du poète, n’est-ce pas : pour Victor Hugo,
« un bouquet de houx vert et de
bruyère en fleur » jeté sur la tombe de Léopoldine dans l’un des plus
émouvants textes de la littérature, bouquet que l’on retrouve chez Marie-Noëlle
Agniau avec cet oiseau qui « continue/tant
qu’il peut/son actif bouquet/d’air. » Dans la permanence du style, une
nouveauté chez elle : la brièveté de textes les faisant ressembler à des
psaumes, ce qui n’est pas étonnant chez cette lectrice de la Bible.
Quelle est cette tactique des anges ? D’ailleurs quels
sont ces anges : les messagers ? ceux qui ne sont plus du monde des
vivants mais les accompagnent ? L’ange contre qui Jacob dut se battre sans
comprendre l’enjeu de la lutte ? Le poème n’essaie-t-il pas d’élucider ce
mystère sculpté aux tympans des églises ? La tactique est-elle
bénéfique ? Permet-elle l’inspiration ? Le poème peut-il aider à
comprendre ? Avec ces beaux textes écrits dans une langue pure et
signifiante, Marie-Noëlle Agniau « restaure
l’amande » ; c’est-à-dire qu’elle sculpte une mandorle pour les
divers petits anges qui l’accompagnent et l’inspirent – c’est cela, le travail
du poète. Je me souviens, en la lisant, de Borges : «je tiens à grande faveur de partager cette veille/réunie autour de ce
que personne ne sait, du Mort,/réunie pour isoler ou pour garder sa première
nuit dans la mort. » Cela rejoint ce qu’elle écrit : « J’ai donc une cause secrète/semblable
aux noires violettes. » La tactique des anges, c’est de nous faire
partager ce secret.
Mercredi 16 janvier
2008
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