Née en 1973, poète, écrivain et
professeur de philosophie à Limoges, Marie-Noëlle Agniau poursuit, avec ce
nouveau livre, une œuvre cohérente, qui se partage pour l’essentiel entre ses
recueils de poésie édités en France et en Belgique, et son œuvre philosophique,
notamment publiée par la collection « Ouverture philosophique » chez
L’Harmattan. Ce nouvel ouvrage paraît dans la collection « Ecritures »
dirigée par Daniel Cohen ; il regroupe des chroniques ayant nourri une
émission radiophonique intitulée En début
de page.
Six
ans après, Le tumulte et la faim vient
prolonger à sa manière plus apaisée (même si le tumulte n’est jamais loin chez cet écrivain à la sensibilité
exacerbée) un autre livre de l’auteur : Boxes, paru chez Gros Textes et adapté à deux reprises avec succès
au théâtre. Depuis ce livre où elle livrait avec force et poésie ses
traumatismes et déjà son rapport à la lecture et à l’écriture, Marie-Noëlle
Agniau se dit « remise au monde »
– peut-être en partie par la littérature – à qui elle rend ici un bel hommage et plus que
cela, puisque les livres dont elle nous parle et qu’elle nous donne envie de
lire sont entrés dans sa vie jusqu’à en devenir comme d’essentielles parties
constituantes. Bien après Jean-Paul Sartre, la voici disant son amour des
mots : « J’aimais les mots.
J’aimais qu’on me raconte des histoires. J’aimais vivre toutes ces vies […]
Je suis restée fidèle au désir de lire,
au désir tout court. » Elle définit dès le début ce qu’est cette vie
avec les mots : « Un temps en
arrière du temps. Vie contemplative derrière la vie active. » Une
passion dévorante, aussi, qui peut aller jusqu’à couper l’appétit pour tout le
reste, car « la littérature modifie
notre rapport au réel » – jusqu’à ce que revienne la faim.
Dans
ce journal très agréable à lire, où elle se laisse deviner encore intimement – en
évoquant notamment l’élément douloureusement fondateur qu’est la mort du petit frère,
mais aussi d’autres épisodes de sa vie, comme la présence questionnante de ses
enfants ou un séjour à l’hôtel Belles Rives cher aux Fitzgerald – elle raconte ses auteurs, divers, et comment ils
s’entremêlent avec sa vie, ses livres
– même ceux qu’elle n’a pas lus ou achevés, « les
livres impossibles ». Au fil des citations se constitue un corpus dans le sens du recueil de
textes, certes, mais aussi dans celui du corps même de la femme qui
écrit : ainsi rapporte-t-elle que la lecture lui a produit ses « toutes premières sensations érotiques»,
ainsi, sur une plage bretonne, inondée de soleil, lisant un livre sur les
nuages, se laisse-t-elle brûler par une mystérieuse pensée amoureuse. Défilent les noms d’auteurs et les
titres de livres, déjà nourris de la vie de leurs auteurs et nourrissant celles
de leurs lecteurs ; quelques exemples : en premier lieu, sans doute, la Bible, et puis Faulkner, Charles
Baudelaire, Pierre Michon, Jean Blanzat, Gérard de Nerval, Robert Musil, Paul
Celan, George Sand, Cioran, Arthur Rimbaud, Virgile, Pierre Bergounioux (qui
l’a traitée amicalement de « petite
morveuse »), Julien Gracq, Homère, Chateaubriand, Patrick
Modiano, Dylan Thomas et tant d’autres. Marie-Noëlle Agniau a une façon
toujours captivante, profonde et originale – surprenante même – d’en
parler : ainsi l’énorme Chateaubriand
est-il comparé à une tortue luth, le talent de l’auteur étant de nous faire
trouver cette comparaison évidente. Et c’est en poète qu’elle écrit et qu’elle
titre ses chapitres, comme : « La
tignasse des mots ». Aux titres de livres s’ajoutent ceux de films ou
de spectacles vus, de chansons entendues, tout ce décor consistant qui fait une
existence.
S’interrogeant
à propos de la poésie, sur la vie quotidienne comme sur les grandes questions
philosophiques, sans jamais peser, et toujours à l’aune des livres lus,
Marie-Noëlle Agniau, que l’on espère réconciliée avec la vie, énonce pour finir
cette phrase qui semble tout droit sortie des Essais de Montaigne : « La
littérature est aussi la mémoire de cela : l’humanité est notre seul
horizon. » Et puisque l’auteur nous a raconté ici et ailleurs sa
genèse, son tumulte et ses faims, puisqu’elle a rendu hommage à son panthéon
littéraire, puisque dans sa poésie elle nous livre à chaque fois l’intime, nous
attendons désormais qu’elle écrive le grand roman qui nous envoûtera,
traversera, inquiètera.
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