Chambre blanche, de la chorégraphe bruxelloise Michèle Noiret
(assistée de Pascale Gigon), est manifestement l’un des moments forts de la
biennale Danse Emoi (Limoges) :
un long moment de bonheur chorégraphique et esthétique – c’est d’ailleurs la
moindre des choses que ces deux adjectifs aillent ensemble. Quatre magnifiques
danseuses, Julie Devigne, Dominique Godderis, Shantala Pepe et Lise Vachon, dans
la pleine maîtrise de leur corps et de leur art, offrent au spectateur conquis
une série de situations et d’images entre jeu, séduction, domination,
évitement, et gestes ordinaires. On se doit de saluer les costumes souples et
élégants, noirs ourlés de mauve, vestes, de Patricia Eggerickx et les coiffures
et le maquillage réalisés par Michelle Lemaire – les cheveux tirés en arrière
donnant un air de sororité à ces femmes à la chevelure de couleur pourtant
différente.
La
chambre blanche est close sur trois
côtés de grands rideaux gris-bleu ; selon la chorégraphe, il s’agit ici de
« l’Ouvert, comme dit Rilke, un
nulle part sans négation. » C’est là que tout aura lieu, entre, avec,
sous… une table rectangulaire blanche et des tabourets sombres, manipulés en
permanence avec une inventivité toujours signifiante. Un espace ouvert, certes,
en direction des spectateurs, un lieu d’où l’on peut sortir et où l’on peut
rentrer, mais aussi un espace clos qui ne serait pas loin de la fameuse chambre
jaune de Maurice Leroux. Mais pas de meurtre apparent ici, donc pas de
détective, et d’ailleurs, pas d’homme. Une apparence de danger, parfois, à
l’occasion d’un face à face, ou lorsqu’une femme se transforme en élégant félin
à la démarche altière et menaçante. Michèle Noiret fait aussi référence à
Virginia Woolf célébrant la chambre comme « un
espace de liberté et de réceptivité ». Sur le plateau, quatre femmes
dansent une – leur ? – histoire personnelle et racontent une histoire
commune, celle, avant tout, de la féminité, de la femme éternelle, depuis les
temps archaïques ; par moments, d’ailleurs, elles nous rappellent des
pleureuses grecques ou siciliennes, ces femmes en noir des bords chauds et
odoriférants de la Méditerranée.
Parfois, il y a du rituel et du cérémonial dans cette
chorégraphie précise et juste. L’espace d’un tableau, on joue aux jeux des
chaises musicales avec facétie mais peut-être aussi cruauté ; l’espace
d’une image, on envisage un ange faisant tinter une cloche dans la lumière
blanche d’une église romane ; on accroche ou reprend un vêtement, pose une
paire de chaussures. Aucun des gestes n’est ici inutile. Apogée du spectacle,
tant visuelle que sonore et symbolique, incontestablement gothique : des
dos sublimes et nus, alignés, ondulants, subtilement mis en lumière, comme tout
le spectacle, par Xavier Lauwers (qui joue habilement des ombres, des
éclairages et des couleurs), dans un bourdonnement incessant de mouches. Un
moment intensément baudelairien, qui évoque les dos peints par Edgar Degas (Le Tub, 1886), qui savait lui aussi
regarder les danseuses, un moment effrayant aussi, à bien y réfléchir, tant il
annonce la corruption à venir de toute chair, aussi belle soit-elle. Autre
vision rapide et forte : cette femme torse nu, dans le blanc, offerte et
contorsionnée, objet de fantasmes, comme Les
Demoiselles d’Avignon de Picasso ou les femmes des travaux photographiques
et même cinématographiques des artistes japonais contemporains, comme Nobuyoshi
Araki. Tout au long de ce
spectacle admirable, la créativité sonore et musicale de Todor Todoroff
(Premier Prix et Diplôme Supérieur de Composition Électroacoustique en
Belgique) et Stevie Wishart (prise de sons additionnels d’Aline Huber) se
révèle puissante et évocatrice, d’une musique en apparence légère pour
accompagner des flonflons de fête populaire, à des sons beaucoup plus graves ou
intenses. Avec eux, le souffle ou les petits bruits divers sans être jamais
anecdotiques, participent de la création d’un univers presque palpable à
travers lequel entreraient littéralement les danseuses.
Toutes
les femmes, toute la féminité, sont bien dans ce spectacle qui nous renvoie
vers nos propres désirs, questionnements, références artistiques et poétiques –
ce qui en fait son incontestable richesse. Et l’on peut affirmer sans
grandiloquence que l’on n’est pas loin du chef-d’œuvre !
21 janvier 2010.
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