vendredi 21 décembre 2012

Baker street



Michel Bruzat adapte au Théâtre de La Passerelle à Limoges les Fragments de Marilyn Monroe publiés en 2010 au Seuil

            Commençons par une évidence : la comédienne Mauricette Touyéras n’est pas Marilyn Monroe. Elle ne fait rien pour lui ressembler – il n’est pas ici question de se grimer pour faire comme si. Même sa voix n’a rien à voir avec celle de l’actrice, dont Cecil Beaton disait qu’elle avait « la douceur de la soie ou du velours. » Elle interprète une comédienne qui réfléchit à son art en permanence – comment transcender la peur, l’angoisse venue de l’enfance, le désir de mourir, qui croit y arriver avec une « technique » – et une femme en retrait, échappée d’un tournage, peut-être, comme échouée avec sa barque sur la plage d’une île déserte bercée par le flux et le reflux des vagues et des lumières douces, bleutées et orangées, de Franck Roncière. Une femme fragile qui pense cette fragilité, l’analyse – au sens psychanalytique du terme. Qui réfléchit à l’humanité, à la nécessité de la simplicité, à la liberté et à l’indépendance, à l’amour, à la détresse et à la solitude, au vieillissement, avec acuité et humour. Qui écrit en permanence, sur des carnets, des agendas, du papier à lettres d’hôtels, sur des feuilles volantes, une femme qui rature, se relit, se corrige, cherche le mot juste. Des fragments, des poèmes, des souvenirs, des impressions. Mauricette Touyéras note que Marilyn « était une femme engagée dans la progression d’une pensée humaniste, généreuse, lucide. » Et elle interprète plus cette pensée en mouvement que la star en elle-même, donnant à l’écriture de celle-ci une dimension universelle et lui prêtant avec beaucoup de sensibilité sa propre voix, son propre corps, ses propres doutes. Et même parfois ses propres hésitations pour restituer le texte. Bruzat – dont ce travail s’insère dans la continuité de sa réflexion à propos de la tragédie et de la femme – a découvert, comme tous ceux qui ont lu ce livre magnifique, particulièrement bien édité, « une passante, une élève, laide, mal fagotée, un visage vide. Mal aimée, étouffée, violée, abandonnée, une ombre. »
            Sur son petit carnet noir, Marilyn écrit sur la première ligne de la page 16 : « having a sense of myself » (en ayant le sentiment de moi-même). C’est ce sentiment qu’elle essaie d’exprimer, comme à sa suite et pour elle, la comédienne qui interprète ses textes et le metteur en scène. Mais comment faire lorsqu’on est Marilyn Monroe – la star façonnée en partie par la grande machinerie Hollywood, celle qui fait rêver les hommes du monde entier, y compris à travers les générations ? Cette beauté étrange et fascinante qui pose allongée sur un lit, un œillet contre la poitrine. Celle qu’épousèrent Joe DiMaggio et Arthur Miller, celle dont tomba amoureux Yves Montand et qui séduisit l’homme le plus puissant de la planète et lui chanta happy birthday dans une robe fourreau en gaze de soie rose parsemée de strass et moulante. Celle qui est tout cela et qui écrit en même temps : « L’enfance de chacun se rejoue tout le temps » – indice de la faille originelle. Ce que raconte le spectacle, c’est finalement une équation impossible à résoudre, une dichotomie irréversible qui fait souffrir jusqu’à la mort et que ne résolvent finalement ni l’analyse, ni cette horrible hospitalisation qui révèle toute la bêtise et la cruauté des psychiatres auxquels elle fut alors confrontée – l’occasion d’ailleurs de réfléchir aussi au traitement de la folie, dans les années 60 et encore aujourd’hui. On est effaré de ce que lui disent ces « médecins » et amusé de la justesse de ses réponses : « Ils m’ont demandé pourquoi je me sentais « différente » (des autres patients je suppose) alors je me suis dit que s’ils étaient assez bêtes pour me poser de telles questions, je devais leur donner une réponse toute simple, aussi ai-je dit : « Parce que je le suis. » La blessure est mortelle, qui fait trouver un arbre (dans Les Désaxés) « étrange et nu », qui donne envie de se jeter d’un pont, qui poussa à avaler des barbituriques le 5 août 1962. L’envie de hisser les voiles et de partir, d’embarquer sur le Bateau ivre et de disparaître.
            Cette belle et triste histoire est incarnée avec force, subtilité et tendresse par Mauricette Touyéras, qui s’agrippe au sable de la plage pour mieux contempler la lune, ou monte dans l’étroite barque comme le faisait aussi jadis le poète Tristan Corbière – si proche, en fait, de Marilyn – lorsqu’il couchait dans un bateau, au milieu de son salon dans la maison à Roscoff. Baudelaire l’a dit : « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » - Marilyn la chérissait, elle voulut être une femme libre, elle était un poète. Bruzat fait entendre sa voix. 


samedi 11 février 2012

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