Michel Bruzat adapte au Théâtre de La Passerelle à Limoges
les Fragments de Marilyn Monroe
publiés en 2010 au Seuil
Commençons par une
évidence : la comédienne Mauricette Touyéras n’est pas Marilyn Monroe.
Elle ne fait rien pour lui ressembler – il n’est pas ici question de se grimer
pour faire comme si. Même sa voix n’a rien à voir avec celle de l’actrice, dont
Cecil Beaton disait qu’elle avait « la
douceur de la soie ou du velours. » Elle interprète une comédienne qui
réfléchit à son art en permanence – comment transcender la peur, l’angoisse
venue de l’enfance, le désir de mourir, qui croit y arriver avec une « technique »
– et une femme en retrait, échappée d’un tournage, peut-être, comme échouée
avec sa barque sur la plage d’une île déserte bercée par le flux et le reflux
des vagues et des lumières douces, bleutées et orangées, de Franck Roncière.
Une femme fragile qui pense cette fragilité, l’analyse – au sens
psychanalytique du terme. Qui réfléchit à l’humanité, à la nécessité de la simplicité,
à la liberté et à l’indépendance, à l’amour, à la détresse et à la solitude, au
vieillissement, avec acuité et humour. Qui écrit en permanence, sur des
carnets, des agendas, du papier à lettres d’hôtels, sur des feuilles volantes,
une femme qui rature, se relit, se corrige, cherche le mot juste. Des
fragments, des poèmes, des souvenirs, des impressions. Mauricette Touyéras note
que Marilyn « était une femme
engagée dans la progression d’une pensée humaniste, généreuse, lucide. » Et
elle interprète plus cette pensée en mouvement que la star en elle-même,
donnant à l’écriture de celle-ci une dimension universelle et lui prêtant avec
beaucoup de sensibilité sa propre voix, son propre corps, ses propres doutes. Et
même parfois ses propres hésitations pour restituer le texte. Bruzat – dont ce
travail s’insère dans la continuité de sa réflexion à propos de la tragédie et
de la femme – a découvert, comme tous ceux qui ont lu ce livre magnifique,
particulièrement bien édité, « une
passante, une élève, laide, mal fagotée, un visage vide. Mal aimée, étouffée,
violée, abandonnée, une ombre. »
Sur
son petit carnet noir, Marilyn écrit sur la première ligne de la page 16 :
« having a sense of myself » (en
ayant le sentiment de moi-même). C’est ce sentiment qu’elle essaie d’exprimer,
comme à sa suite et pour elle, la comédienne qui interprète ses textes et le
metteur en scène. Mais comment faire lorsqu’on est Marilyn Monroe – la star façonnée en partie par la grande
machinerie Hollywood, celle qui fait rêver les hommes du monde entier, y
compris à travers les générations ? Cette beauté étrange et fascinante qui
pose allongée sur un lit, un œillet contre la poitrine. Celle qu’épousèrent Joe
DiMaggio et Arthur Miller, celle dont tomba amoureux Yves Montand et qui séduisit
l’homme le plus puissant de la planète et lui chanta happy birthday dans une robe fourreau en gaze de soie rose parsemée
de strass et moulante. Celle qui est tout cela et qui écrit en même
temps : « L’enfance de chacun
se rejoue tout le temps » – indice de la faille originelle. Ce
que raconte le spectacle, c’est finalement une équation impossible à résoudre,
une dichotomie irréversible qui fait souffrir jusqu’à la mort et que ne
résolvent finalement ni l’analyse, ni cette horrible hospitalisation qui révèle
toute la bêtise et la cruauté des psychiatres auxquels elle fut alors
confrontée – l’occasion d’ailleurs de réfléchir aussi au traitement de la
folie, dans les années 60 et encore aujourd’hui. On est effaré de ce que lui
disent ces « médecins » et amusé de la justesse de ses
réponses : « Ils m’ont demandé
pourquoi je me sentais « différente » (des autres patients je
suppose) alors je me suis dit que s’ils étaient assez bêtes pour me poser de
telles questions, je devais leur donner une réponse toute simple, aussi ai-je
dit : « Parce que je le suis. » La blessure est mortelle,
qui fait trouver un arbre (dans Les
Désaxés) « étrange et nu »,
qui donne envie de se jeter d’un pont, qui poussa à avaler des barbituriques le
5 août 1962. L’envie de hisser les voiles et de partir, d’embarquer sur le Bateau ivre et de disparaître.
Cette
belle et triste histoire est incarnée avec force, subtilité et tendresse par
Mauricette Touyéras, qui s’agrippe au sable de la plage pour mieux contempler
la lune, ou monte dans l’étroite barque comme le faisait aussi jadis le poète
Tristan Corbière – si proche, en fait, de Marilyn – lorsqu’il couchait dans un
bateau, au milieu de son salon dans la maison à Roscoff. Baudelaire l’a
dit : « Homme libre, toujours
tu chériras la mer ! » - Marilyn la chérissait, elle voulut être
une femme libre, elle était un poète. Bruzat fait entendre sa voix.
samedi 11 février 2012
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