mardi 17 juillet 2018

Eric Poindron, L’Ombre de la girafe, Bleu autour, 2018


Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Eric Poindron n’a pas peigné la girafe en écrivant ce beau petit livre dense. Il a fait œuvre utile car captivante et divertissante, érudite et fantaisiste, bien des années après Marco Polo évoquant Zanzibar : « Ils ont encore une espèce d’animal qu’ils appellent «gaffa » (girafe), qui a le col long de trois pas ; il a les jambes de devant bien plus longues que celles de derrière ; il a la tête petite, et il est de plusieurs couleurs et marqueté par le corps ; cet animal est doux et ne fait de mal à personne. »
            Dans L’ombre de la girafe, l’écrivain-poète, la cinquantaine venue, cherche à retrouver son grand-père (qui travaillait aux ateliers SNCF d’Epernay, « capitale du champagne et des trains à vapeur »), son père, qui meurt, des repères et ses pairs, qui, à travers les siècles, ont cru à la nécessité vitale des voyages, réels ou imaginaires, tous ceux qui ont cherché une île inconnue. Baudelaire l’avait écrit : « Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,/L'univers est égal à son vaste appétit./Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes ! » Citation à compléter par celle que Poindron fait de Gilles Lapouge : « Je crois que tous les hommes sont faits de même. La première destination de leurs voyages est leur enfance. » Une girafe, ça a quand-même plus de gueule qu’une madeleine, non ? L’enfance, elle est ici partout présence, avec des parfums de cirque et de fête foraine, avec le pépé Petit Cric qui brise des chaînes ou tord des barres de fer, ou les girafes prévertiennes oubliées sur les bancs de l’école, avec le père qui bricole une girafe avec des copains de son âge, et qui racontera plus tard à son fils qu’ « il vivait, enfant, au milieu des girafes. » On l’aura compris, l’animal – et tous les autres dont il est ici question – est un prétexte, du latin  praetexo, «border, broder, orner, prétexter ».
            Prétexte à se souvenir des siens, prétexte à dire, aussi, ce qu’est l’écriture : « ce peut être suivre des traces, chercher des indices, en déposer à son tour (…) Tenir le stylo, c’est s’extasier puis s’affranchir. » L’écrivain nous raconte ses journées ordinaires, dans le compagnonnage d’André Thevet, moine franciscain, géographe de la Renaissance. Chez Eric Poindron, l’écriture est un travail qui s’accompagne d’une passion : « je suis sans doute né sous le signe de l’insolite, ascendant fétichiste. Il faut toujours que je collectionne, que j’accumule, que je donne, que je troque. Et que j’imagine. » Incroyable ! C’est de moi qu’il parle ! J’accueille cette inespérée fraternité : « Je suis frère en Dieu de tout ce qui vit, de la girafe et du crocodile comme de l’homme », écrit-il en reprenant Flaubert.
            A travers ce beau livre, on voyage avec la girafe offerte par le pacha d’Egypte au roi Charles X, on se souvient de François d’Assise, on part avec François Levaillant, explorateur et ornithologue mort en 1824, admiré par Hector Berlioz, on se promène de la Champagne au Jardin des Plantes, toujours en bonne compagnie, et l’on approche du bonheur. Et nous revenons au point de départ, à dos de girafe, et à cette remarque nourrie par Borges : « Nous oscillons en contretemps du chemin du père, de ses certitudes. Nos souvenirs filent à vive allure et nous les observons, coincé au passage à niveau. »

Marc Bruimaud s'intéresse à Damiano


Depuis Penser la pornographie de Ruwen Ogien (P.U.F.), nous avons essayé d’apprendre (sans toujours y parvenir) à envisager la pornographie d’une manière différente, peut-être plus intellectuelle. De même, les travaux des historiens ont montré l’ancienneté de la chose – finalement qu’elle accompagne l’homme depuis l’origine. Sans remonter aussi loin, on avait beaucoup appris d’ Obscène Moyen Âge ? paru sous la direction de Nelly Labère, maître de conférences à l’Université Bordeaux Montaigne, chez Honoré Champion en 2015. Il y a cependant loin des phallus apotropaïques de Pompéi – des figures qui illustrent la fertilité, la capacité à donner la vie, à contrer les esprits malins, à éloigner le mauvais œil – aux séquences pornographiques en streaming de plus en plus regardés par les adolescents sur les tablettes et autres smartphones, ce qui a, selon Michel Reynaud, président du Fonds actions addictions, « des conséquences sur le développement des jeunes les plus vulnérables et les moins structurés psychologiquement", avec un "rapport peu adapté à la sexualité" et une "addiction" certaine.
C’est dans ce contexte que paraît chez Jacques Flament l’essai de l’écrivain et critique Marc Bruimaud, Gérard Damiano Les peaux la chair les nuits. Damiano ? Ah oui ! Deep throat, « Gorge profonde » (on comprend pourquoi…), qui fit scandale en 1972. J’avais dix ans mais, à un moment ou un autre, je me souviens de cela. Vedette, au destin tragique : Lynda Lovelace (Linda Susan Boreman), qui se présenta par la suite comme une victime (notamment de son mari Chuck Traynor) et devint une militante anti-pornographie acharnée : « Quand vous voyez le film Deep Throat, vous me voyez en plein viol »[1]. Pas de quoi éprouver la moindre sympathie pour le film et son réalisateur, donc. Il ne nous avait d’ailleurs pas frappé jusqu’à maintenant que la pornographie – dont la finalité semble avant tout promise au kleenex – était la meilleure voie vers l’émancipation féminine, quoiqu’en dise certaines « travailleuses du sexe » autoproclamées « féministes ». Mais, comme le dit le proverbe, tous les goûts sont dans la nature.
Néanmoins, Marc Bruimaud fait presque de Damiano un réalisateur de films d’art et d’essai, un égal ou presque d’Alfred Hitchcock (dont il reprend d’ailleurs la manie d’apparaître dans ses propres films), voire un philosophe sartrien. Incontestablement, le livre est fort bien écrit et extrêmement référencé (avec des notes de bas de page consistantes), avec l’impressionnante filmographie précisément documentée, une bibliographie complète, des illustrations, des extraits d’interviews – comme celui d’Hank Azaria, interprétant Damiano dans Lovelace (« Il voulait que ces films soient sincères et stimulants, alors il les a faits avec son cœur et son âme. »). Dans sa partie « Extension », Bruimaud affirme que Damiano « réunit sans nul doute tous les critères permettant de le qualifier d’auteur et de s’intéresser à la singularité constante de son inspiration. » Il semble cependant que Jean Tulard résume assez bien les choses dans son Dictionnaire du cinéma également cité par Bruimaud : « Si, au niveau des scénarios, ses films sont nettement au-dessus de la moyenne, force est de constater de reconnaître pourtant que le talent de cinéaste de Damiano est des plus minces. » Impression confirmée par le visionnage de certaines séquences disponibles sur le web, qui m’ont surtout parues très datées.
Cet ouvrage d’exégèse a le mérite d’exister pour les aficionados qui y trouveront largement leur compte. C’est un livre d’histoire à ranger sur les étagères consacrées à l’underground. Il est révélateur d’une époque et à ce titre c’est un témoignage intéressant qui pourrait aussi nourrir les travaux de chercheurs comme Corbin, Courtine, Vigarello lorsqu’ils font l’histoire du corps (Seuil), en ces temps où prolifèrent les corps virtuels et où il est plus que nécessaire de dire ce qu’est l’humain.                                                     


[1] MacKinnon, Catharine A., & Dworkin, Andrea, In Harm’s Way: The Pornography Civil Rights Hearings, Boston: Harvard University Press, 1987.

Un livre de photos de Jean-Marie Bourdelas à commander d'urgence!




Châlucet sous la neige


Jean-Marie Bourdelas est né en 1932 dans le quartier du pont Saint-Martial à Limoges. Passionné par l’histoire, il a beaucoup voyagé, en train et à vélo. Il a inlassablement photographié la France et le Limousin. Son traitement de la lumière et des couleurs, sur diapositives, en fait un magnifique cueilleur d’images.
Son fils Laurent, écrivain, a sélectionné les cinquante photographies limousines et les introduit par un texte. La poète Marie-Noëlle Agniau signe la postface. C’est ici l’univers de Clancier, Rouffanche, Bergounioux…
L’Arbre à Trucs vous invite à réserver votre exemplaire de ce beau livre de photographies en tirage limité à 300 exemplaires, signé par l’auteur, vendu hors commerce. (Couverture 4 pages, 15.00 x 21.00, impression en quadrichromie, intérieur 60 pages sur papier couché satin 100 g/m²). Parution avant Noël 2018.

BULLETIN DE SOUSCRIPTION à nous retourner AVANT le 19 septembre – jour anniversaire du photographe
(nous vous conseillons de commander dès réception)
L’Arbre à trucs Villa Clio 87 260 Vicq-sur-Breuilh
Les ouvrages vous seront remis lors d’une rencontre à Limoges à parution (ou expédiés par la poste en cas d’impossibilité)

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