J’ai déjà dit tout le bien que je
pensais du petit livre de l’auteur et metteur en scène[1] et
j’attendais avec une certaine impatience d’en voir l’adaptation sur les
planches : c’est un bonheur, la comédienne choisie y étant aussi pour
beaucoup, puisqu’il s’agit de Julie Lalande, seule en scène.
On
entre dans l’antichambre de l’Aubrac par une salle d’exposition de
photographies par quatre artistes différents, invités par le maître des
lieux : portraits « classiques » en noir et blanc, mais très
réussis, d’Olivier Thuillas (beaux visages, belles mains, belles rides, chien
et murs), vastes landes parcourues de cours d’eau, jaunies comme les Amours de
Tristan Corbière, de Catherine Rolland, chaises en bois des cafés
chaleureusement empilées saisies par Michel Martin, élégantes et belles miniatures
de Céline Cornet. Sur la table de l’entrée, un gros bocal en verre d’épingles à
linge, qui annonce la scénographie.
Il
fallait une mise en scène simple pour ce texte riche, poétique, émouvant et
drôle (Max Eyrolle a toutefois resserré son texte). La comédienne, vêtue en
paysanne, accroche du linge sur un fil pour le faire sécher : vastes
culottes, ample bustier, seront l’occasion de quelques sourires. C’est un
antique rituel, universel, traditionnel, qui nous est ici proposé, de l’Aubrac
aux rives anciennes de la Vienne et partout à travers le temps et le
Monde : des femmes s’occupant du linge, étendant les draps au soleil sur
l’herbe - qui parfois peuvent se transformer en linceuls -, et parlant entre
elles. Ici, Julie Lalande se parle à elle-même et aux spectateurs qui ne
boudent pas leur plaisir, riant parfois à gorge déployée. Ponctuant ses propos
de « Eh be ! » bien connu des contrées où l’Occitan fut langue
première, Lucette Boyer, qui s’amuse en permanence avec le Verbe, ses tournures
et ses conjugaisons, raconte un pays âpre et authentique, une civilisation
disparaissant, entre animal et minéral, brouillard et hululements de chouettes,
bon sens et folie, causticité et blessures. Un pays de l’immobilité et de la
méditation où l’empreinte de la mort semble omniprésente - accidents, longue
litanie des noms sur le Monument aux morts… -, pays traversé par les pèlerins
de Compostelle et des touristes qui passent leur temps à photographier les
vaches et semblent persuadés de visiter une réserve d’Indiens. Un pays de
résistances que détruit pourtant imperceptiblement la modernité (Lucette et son
mari peuvent traverser sans être vu un village hypnotisé par la télévision).
Je
l’ai écrit dans ma critique du livre, Max Eyrolle part du local pour atteindre
l’universel. Il nous parle de la disparition ultime des anciennes
civilisations, celles de la parole, du conte et de la poésie (bien présente
ici), peut-être celle du théâtre dont il serait l’un des derniers hérauts.
Julie Lalande sait émouvoir et faire rire, elle porte avec talent une écriture
plus exigeante qu’il pourrait paraître à la première écoute, elle incarne
magnifiquement une femme digne qui s’interroge sur l’existence, les hommes et
les bêtes, et même sur Dieu, portant les interrogations éternelles d’une femme
simple dont un jour le souvenir s’estompera et dont, peut-être, les oripeaux
serviront à habiller un épouvantail. De
temps à autre, la voix superbe et puissante du formidable chanteur occitan
Combi accompagne et rend tragiques les silences de la femme qui nous parle.
28 décembre 2006.
[1] Sur RCF, sur www.bourdelas.canalblog.com et
dans la revue L’Indicible frontière n°9 (début 2007).
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