vendredi 21 décembre 2012

Lucette Boyer, pure Aubrac à Expression 7 : Max Eyrolle propose une adaptation réussie de son livre



J’ai déjà dit tout le bien que je pensais du petit livre de l’auteur et metteur en scène[1] et j’attendais avec une certaine impatience d’en voir l’adaptation sur les planches : c’est un bonheur, la comédienne choisie y étant aussi pour beaucoup, puisqu’il s’agit de Julie Lalande, seule en scène.
            On entre dans l’antichambre de l’Aubrac par une salle d’exposition de photographies par quatre artistes différents, invités par le maître des lieux : portraits « classiques » en noir et blanc, mais très réussis, d’Olivier Thuillas (beaux visages, belles mains, belles rides, chien et murs), vastes landes parcourues de cours d’eau, jaunies comme les Amours de Tristan Corbière, de Catherine Rolland, chaises en bois des cafés chaleureusement empilées saisies par Michel Martin, élégantes et belles miniatures de Céline Cornet. Sur la table de l’entrée, un gros bocal en verre d’épingles à linge, qui annonce la scénographie.
            Il fallait une mise en scène simple pour ce texte riche, poétique, émouvant et drôle (Max Eyrolle a toutefois resserré son texte). La comédienne, vêtue en paysanne, accroche du linge sur un fil pour le faire sécher : vastes culottes, ample bustier, seront l’occasion de quelques sourires. C’est un antique rituel, universel, traditionnel, qui nous est ici proposé, de l’Aubrac aux rives anciennes de la Vienne et partout à travers le temps et le Monde : des femmes s’occupant du linge, étendant les draps au soleil sur l’herbe - qui parfois peuvent se transformer en linceuls -, et parlant entre elles. Ici, Julie Lalande se parle à elle-même et aux spectateurs qui ne boudent pas leur plaisir, riant parfois à gorge déployée. Ponctuant ses propos de « Eh be ! » bien connu des contrées où l’Occitan fut langue première, Lucette Boyer, qui s’amuse en permanence avec le Verbe, ses tournures et ses conjugaisons, raconte un pays âpre et authentique, une civilisation disparaissant, entre animal et minéral, brouillard et hululements de chouettes, bon sens et folie, causticité et blessures. Un pays de l’immobilité et de la méditation où l’empreinte de la mort semble omniprésente - accidents, longue litanie des noms sur le Monument aux morts… -, pays traversé par les pèlerins de Compostelle et des touristes qui passent leur temps à photographier les vaches et semblent persuadés de visiter une réserve d’Indiens. Un pays de résistances que détruit pourtant imperceptiblement la modernité (Lucette et son mari peuvent traverser sans être vu un village hypnotisé par la télévision).
            Je l’ai écrit dans ma critique du livre, Max Eyrolle part du local pour atteindre l’universel. Il nous parle de la disparition ultime des anciennes civilisations, celles de la parole, du conte et de la poésie (bien présente ici), peut-être celle du théâtre dont il serait l’un des derniers hérauts. Julie Lalande sait émouvoir et faire rire, elle porte avec talent une écriture plus exigeante qu’il pourrait paraître à la première écoute, elle incarne magnifiquement une femme digne qui s’interroge sur l’existence, les hommes et les bêtes, et même sur Dieu, portant les interrogations éternelles d’une femme simple dont un jour le souvenir s’estompera et dont, peut-être, les oripeaux serviront à habiller un épouvantail. De temps à autre, la voix superbe et puissante du formidable chanteur occitan Combi accompagne et rend tragiques les silences de la femme qui nous parle.

             28 décembre 2006.
             


[1] Sur RCF, sur www.bourdelas.canalblog.com et dans la revue L’Indicible frontière n°9 (début 2007).

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