vendredi 21 décembre 2012

Max Eyrolle, un sombre lumineux



Je me souviens de ce qu’écrivait René Char dans Lettera amorosa : « Je voudrais glisser dans une forêt où les plantes se refermeraient et s’étreindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire, mais elle reste à semer. » Je me dis que cette forêt, Max Eyrolle l’a justement semée à travers ses toiles, qu’elle y a poussée, dense, sombre et lumineuse à la fois. Forêt baudelairienne de signes, de symboles, de couleurs, de matière, à travers laquelle il entraîne désormais ceux qui voient ses oeuvres. Un univers habité, des peintures d’écrivain, des toiles d’homme qui connaît l’homme mais s’interroge – entre abstrait et ébauche d’un figuratif qui dit le flou de l’existence.

         Après le gris de l’autobus où s’alignent des silhouettes diluées, assises les unes derrière les autres dans l’anonymat, comme dans le trolley cher aux Limougeauds, après le désordre urbain qui assombrit peut-être les coeurs, il faut savoir revenir à l’essentiel : la porte de grange, la croix – celles que Max connut enfant en Corrèze, du côté de Port-Dieu, en ces temps archaïques de l’individu et du Limousin, celles qu’il croise et touche aujourd’hui en Aubrac, sa finis terra si bien chantée dans ses livres, qui nourrit de son épaisseur sauvage ses toiles qui émeuvent comme des blessures : « C’est un pays de murs pour y cacher son âme et y pleurer le temps, debout au milieu des narcisses. »[1]

         Des tableaux que l’on aimerait toucher du doigt pour se pénétrer encore plus de leur importance et de leur consistance. Une épaisseur de terre et de boue originelle, qui parfois se colore du rouge des coquelicots ou du jaune d’un orage. A travers la fenêtre aux barreaux du mur de grange, par-delà les gris et les noirs qui donnent l’impression d’être mouvants, on devine une profondeur ponctuée de discrètes taches de couleurs ouvrant sur l’imaginaire : rayons de soleil, peut-être, échelle ou – qui sait ? – jupe d’une fille à coucher sur la paille... « Il y a des gens comme ça/qu’on voit pour la première fois/et qu’on aime/on ne saura jamais pourquoi/il vaut mieux. »[2] Je songe ici à Miquel Barceló, à Antoni Tăpies, à d’autres peintres et poètes profonds des sud lointains, qui savent que la tragédie se joue au soleil depuis Sophocle. Max Eyrolle serait en quelque sorte un post-moderne n’ayant pas oublié la tradition – un peu comme Anselm Kiefer faisant écho aux anciens mythes. Les toiles qu’il propose sont aussi en mouvement – comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement avec un metteur en scène et un amateur éclairé de danse contemporaine ? On aurait envie de lui affirmer ce que la grande poète russe Marina Tsvetaeva écrivit, je crois, à Iouri Ivask : « Vos songes sont d’une justesse effarante. ».

         Allant du concret vers l’abstrait, Max Eyrolle, nous dit l’homme, comme embarqué dans une fragile nef des fous, prêt au naufrage et à la dilution : « Le ciel est blanc... »[3] et la lutte avec l’Ange s’y déroule sans doute. Le peintre envisage encore la (sa ?) disparition, lorsqu’il accompagne son texte Vieillir par sept tableaux, s’apercevant que le rocher au milieu de la rivière de l’adolescence n’est plus accessible, qu’il est devenu une île inatteignable, qu’il est le bloc mêlé de la jeunesse enfuie et du passé enfoui[4].

         René Char écrit: « Après le vent c’était toujours plus beau, bien que la douleur de la nature continuât. » C’est bien cela, ici aussi : le vent a soufflé, la douleur a persisté – et la beauté aussi.



[1] Lucette Boyer pure Aubrac, Le Bruit des Autres, Limoges, 2006.
[2] Petits Dialogues amoureux, Le Bruit des Autres, Limoges, 1997.
[3] La Mélancolie des fous de Bassan, Le Bruit des Autres, Limoges, 1997.
[4] Le Bruit des Autres, Limoges, 2007.

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