Je
me souviens de ce qu’écrivait René Char dans Lettera amorosa : « Je
voudrais glisser dans une forêt où les plantes se refermeraient et
s’étreindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire, mais elle reste
à semer. » Je me dis que cette forêt, Max Eyrolle l’a justement semée
à travers ses toiles, qu’elle y a poussée, dense, sombre et lumineuse à la
fois. Forêt baudelairienne de signes, de symboles, de couleurs, de matière, à
travers laquelle il entraîne désormais ceux qui voient ses oeuvres. Un univers
habité, des peintures d’écrivain, des toiles d’homme qui connaît l’homme mais
s’interroge – entre abstrait et ébauche d’un figuratif qui dit le flou de
l’existence.
Après le gris de l’autobus où
s’alignent des silhouettes diluées, assises les unes derrière les autres dans
l’anonymat, comme dans le trolley cher
aux Limougeauds, après le désordre urbain qui assombrit peut-être les coeurs,
il faut savoir revenir à l’essentiel : la porte de grange, la croix –
celles que Max connut enfant en Corrèze, du côté de Port-Dieu, en ces temps
archaïques de l’individu et du Limousin, celles qu’il croise et touche
aujourd’hui en Aubrac, sa finis terra si
bien chantée dans ses livres, qui nourrit de son épaisseur sauvage ses toiles
qui émeuvent comme des blessures : « C’est
un pays de murs pour y cacher son âme et y pleurer le temps, debout au milieu
des narcisses. »[1]
Des tableaux que l’on aimerait toucher
du doigt pour se pénétrer encore plus de leur importance et de leur
consistance. Une épaisseur de terre et de boue originelle, qui parfois se
colore du rouge des coquelicots ou du jaune d’un orage. A travers la fenêtre
aux barreaux du mur de grange, par-delà les gris et les noirs qui donnent
l’impression d’être mouvants, on devine une profondeur ponctuée de discrètes
taches de couleurs ouvrant sur l’imaginaire : rayons de soleil, peut-être,
échelle ou – qui sait ? – jupe d’une fille à coucher sur la paille... « Il y a des gens comme ça/qu’on voit
pour la première fois/et qu’on aime/on ne saura jamais pourquoi/il vaut
mieux. »[2] Je songe ici à Miquel Barceló, à Antoni Tăpies,
à d’autres peintres et poètes profonds des sud lointains, qui savent que la
tragédie se joue au soleil depuis Sophocle. Max Eyrolle serait en quelque sorte
un post-moderne n’ayant pas oublié la tradition – un peu comme Anselm Kiefer
faisant écho aux anciens mythes. Les toiles qu’il propose sont aussi en
mouvement – comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement avec un metteur en
scène et un amateur éclairé de danse contemporaine ? On aurait envie de
lui affirmer ce que la grande poète russe Marina Tsvetaeva écrivit, je crois, à
Iouri Ivask : « Vos songes sont
d’une justesse effarante. ».
Allant du concret vers l’abstrait, Max
Eyrolle, nous dit l’homme, comme embarqué dans une fragile nef des fous, prêt au naufrage et à la dilution : « Le ciel est blanc... »[3] et la
lutte avec l’Ange s’y déroule sans doute. Le peintre envisage encore la
(sa ?) disparition, lorsqu’il accompagne son texte Vieillir par sept tableaux, s’apercevant que le rocher au milieu de
la rivière de l’adolescence n’est plus accessible, qu’il est devenu une île
inatteignable, qu’il est le bloc mêlé de la jeunesse enfuie et du passé enfoui[4].
René Char écrit: « Après le vent c’était toujours plus beau, bien que la douleur de
la nature continuât. » C’est bien cela, ici aussi : le vent a
soufflé, la douleur a persisté – et la beauté aussi.
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