Michel Bruzat met en scène deux jeunes et belles comédiennes
prometteuses dans un texte poétique de Michel Garneau.
Emilie ne sera plus jamais cueillie par
l’anémone est un fort beau texte du québécois Michel Garneau, poétique et
profond à la fois (c’est la contribution de Bruzat à la francophonie). J’avais
déjà entendu l’auteur à La Passerelle, il y a... 22 ans, à l’automne 1987 –
date à laquelle j’imagine que les deux comédiennes qui l’interprètent sur cette
même scène n’étaient pas nées ! J’avais vu Flavie Avargues et Marie Thomas
jouer son Quatre à quatre... Et je
suis heureux de voir cette continuité, cette obstination de Michel Bruzat à
former et découvrir de jeunes comédiennes, à les aider à « grandir »,
pour reprendre l’un des thèmes de ce beau spectacle. Obstination aussi à
laisser parler les poètes et à servir leur incomparable parole en ces temps de
futilité et d’inculture revendiquée.
Tout
est écrit, déjà, dans ce texte de Michel Garneau : « Que notre révolution se fasse/Que chaque femme prenne le plein
droit/de toute sa rage... », tout est dit en condensé de ce que va
dire Emilie (Cassandre Colliard, émouvante) qui dialogue ou correspond avec sa
soeur (Alexia Moreira, remarquable dans sa maîtrise du texte). Deux juvéniles comédiennes
pour servir un texte lyrique et révolté, plein d’émotion, d’amour et de rage.
Deux actrices que l’on sent toutes vibrantes de jouer, d’être sur cette scène
qui s’est transformée le temps du spectacle en un jardin, celui de la propriété
familiale, celui de la vie. « Il
faut cultiver notre jardin » écrivit Voltaire et c’est bien de cela
dont il s’agit ici. Vivre pleinement sa vie d’enfant, de jeune fille et de
femme, comme on le peut et comme on sait qu’on le doit. Avec un amant que l’on
aime et qui fait rire, ou bien seule dans l’extase des sens, comme une mystique
de l’ordinaire. Emilie est une Thérèse d’Avila sans Dieu. En l’écoutant parler
espièglement, avec sa soeur, des « mangeurs de Dieu » à la messe, on
se souvient des facéties de Tom Sawyer. Le propos est d’échapper aux déterminismes
familiaux, religieux et sociaux (même si l’on garde de la tendresse sur
l’espèce humaine, même si l’on sait voir couler les larmes discrètes d’un père
rigide). Traverser l’océan pour partir jouer de la musique. Le propos est
d’aimer. D’oser aimer même un cheval que l’on bat, comme le fit un jour
Nietzsche, en pleine rue. De crier ou de pleurer parce que des enfants meurent.
De s’en indigner à chaque fois. Ce qui vaut pour les filles le vaut aussi pour
leur mère qui s’éteint doucement, en dormant, et en étant redevenue une
personne. Paul Fort l’avait affirmé : « Le
bonheur est dans le pré » et il faut y courir très vite, car sinon, il
va passer. Alors on y court, avec ces deux filles gracieuses et passionnées, on
se souvient des moments suspendus, on s’émerveille que le soleil s’appelle
soleil et que ce mot soit plus court qu’anémone. Jeux de mots et jeux de
langage pour dire la beauté du monde, malgré tout. Texte qui (re)donne espoir,
comme un soir d’ivresse rimbaldienne.
Cassandre
et Alexia sont habillées par Dolorès Alvez Bruzat, l’une comme sortie d’un
tableau américain, l’autre comme une fille légère des cabarets que fréquenta
Toulouse Lautrec. Un peu de fantaisie pour nous aider à entrevoir une grande liberté
qui s’affirme. Oserais-je écrire ici – sans que cela passât pour désuet – que
ces deux jolies et blondes comédiennes sont « fraîches » ? Au
sens initial du mot : « qui n’est pas flétri ». Qu’elles ont,
comme leurs personnages, la vie à cueillir, comme les y aurait invité
Ronsard... Elles ont de la force en elles, de la fragilité aussi, et c’est pour
cela qu’elles nous émeuvent, dans la mise en scène sobre, juste et évocatrice
de Michel Bruzat. Il y a ces jours-ci à La Passerelle un parfum entêtant d’herbe
qui donne furieusement envie de s’y rouler comme lorsque nous étions
enfants !
Jeudi 1er
octobre 2009.
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