Le nouveau spectacle écrit et mis
en scène par Max Eyrolle oscille entre théâtre de la performance, danse
contemporaine et images cinématographiques. Louis (Philippe Labonne) et Louisa
(Karelle Prugnaud) se retrouvent de temps à autre dans un bar aux tables bien
alignées, avec leurs pots de fleurs sans joie et des lampes de billard pour
éclairer la scène (belles lumières de Thierry Diganet). D’emblée, on songe à la
peinture américaine, à Edward Hopper, notamment, qui a souvent assis ses
personnages – solitaires ou non – dans des cafés : Automat ou Chop Suey, par
exemple. Un sentiment renforcé par le petit drapeau américain cousu sur le
blouson de la jeune fille et surtout par la musique de Phil Glass, originaire
du Maryland, passée ici presque en boucle sur un vieil électrophone qui craque.
Le spectacle n’est finalement pas si loin de la musique de ce compositeur
contemporain, entre minimalisme et répétition – musicien lui-même influencé par
le théâtre et le cinéma français, c’est donc un juste retour des choses que de
le donner à entendre sur une scène…
Max
Eyrolle, avec sa poésie et son humour habituels (quand il évoque par exemple
les yachtmen américains ou les cages légendaires de Louis XI), sa concision,
aussi, raconte une histoire éternelle, comme le fit avant lui Nabokov dans Lolita. Ici, c’est ce moment étrange où
un homme d’un certain âge, plutôt cultivé, plutôt poète, se laisse séduire avec
mélancolie par une fille de quinze ans qu’il pressent intelligente et prête à
tout ; avec elle, même les rêves oubliés redeviennent possibles et la
fantaisie ressurgit. Cette fille impertinente, délurée, avec son blouson trop
juste, ses bas résille et ses hauts talons d’allumeuse, qui confie – vérité ou
mensonge ? – déjà boire sec, rêve de grandir et ne se satisfait pas des
garçons de son âge dont Louis est inévitablement jaloux ; ce qu’elle
cherche, c’est sa maturité, c’est les citations qu’il lui délivre comme des
oracles. Ce qu’il cherche, c’est une cure de jouvence, de la fraîcheur, le
souvenir lointain des adolescences rimbaldiennes – se persuader que Je est encore un autre… Ce qu’elle
cherche : connaître l’extase de l’amour physique avec lui. Ce qu’il
craint : d’aller 7 ans en prison (7 ans de réflexion…). Elle le trouve
trop raisonnable ; il voudrait le romantisme sans les risques inhérents. Alors,
tout est électrique, parfois hystérique, comme les passions douloureuses. On se
cogne aux murs et aux conventions qui enferment, on renverse les tables, on
fait gicler l’eau, on crie, on bouffe les roses, on s’attire, on s’enlace et on
se repousse. Il y a plus ici d’énervement et de tensions que de tendresse,
parce que le désir est ici toujours prégnant. Karelle Prugnaud est d’ailleurs
une comédienne très physique, souple et forte, qui porte le texte avec talent
et conviction. On sent en elle la danseuse et l’acrobate, capable de monter
comme si de rien n’était sur une table, avec ses hauts talons. Face à elle,
entre volonté de se laisser aller et retenue de dernier instant, Philippe
Labonne apparaît comme presque débonnaire. Il est celui qui ne se laisse pas
aller et qui en souffre.
Le
spectacle, rythmé, ponctué de parcours signifiants, offre de beaux moments,
comme celui où Louis se transforme en voyageur au long cours, racontant le
danger des icebergs, et où Louisa, adolescente jalouse, se transforme en vahiné
langoureuse… et l’on se plait à entendre à nouveau la parole de Max Eyrolle
pour une autre variante de son Vieillir
(réentendu il y a peu à Paris lu par le même Philippe Labonne) – car c’est bien
de cela dont il s’agit ici : un homme atteint le versant déclinant de sa
vie et envisage face à cette jeune fille les choses qui seraient encore
possibles mais qui ne le sont peut-être plus car il mourra, lui dit-il, bien
avant elle, et qu’ils ne pourront s’appuyer, vieillissants, l’un contre
l’autre.
Mercredi 24 mars 2010.
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