Le site archéologique,
historique et naturel de Châlucet, classé et protégé, occupé depuis la
protohistoire, doté d’un ensemble castral imposant au Moyen Age, est situé sur
la commune de Saint-Jean-Ligoure, en Haute-Vienne, au sud de Limoges. Le bilan
de dix-huit années de recherches sur le site de Chalucet, effectuées par C.
Chevillot, fait apparaître une occupation humaine essentiellement concentrée à
la fin de l'âge du Bronze et le 1er âge du Fer, soit donc entre le 9ème
et le 4ème siècle av. J.-C[1].
Le site présente la
particularité de se diviser en deux ensembles fortifiés (haut-castrum et
bas-castrum). D’après une chronique de l’époque, le château de Châlucet a été
fondé vers 1130 par deux chevaliers de la famille des Jaunhac, vassaux du
vicomte de Limoges. L’agglomération de Châlucet-bas rassemblait alors, en contrebas
de la tour Jeannette, une vingtaine de chevaliers et leur famille résidant dans
de hautes maisons, presque des tours. Ils étaient les co-seigneurs du lieu.
Châlucet-haut, à l’origine simple donjon protégé qui aurait été construit par
les Jauhnac au 12e siècle, fut radicalement transformé vers 1270-1280 par la
construction d’un château neuf. Cet extraordinaire palais fortifié fut financé
par Géraud de Maulmont, conseiller des rois de France Philippe le Hardi et
Philippe le Bel.
La forteresse de Châlucet et le
parc adjacent de Ligoure présentent un grand intérêt paysager, botanique et
ornithologique. Ils sont inclus dans le site inscrit de la vallée de la Briance
et inventoriés comme une Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique
(Znieff) ; avec de la chance, on peut y voir des chauves-souris, reptiles et
autres amphibiens, des loutres ou une des 26 espèces de poissons recensées dans
la rivière, nombres d’oiseaux et diverses variétés botaniques.
En 1887, l’érudit Louis Guibert a
consacré au site une première histoire détaillée[2] ;
en 1993, après avoir réalisé avec Corinne Géraud une étude de bilan du site et
de propositions de sauvegarde et de mise en valeur culturelle et touristique, j’ai
publié Châlucet en Limousin, site historique,
site romantique aux Editions Lucien Souny de Limoges (publication avant
fouilles); l’histoire du site a également été étudiée par le médiéviste
Christian Rémy, en particulier dans ses deux ouvrages sur les Seigneuries et châteaux-forts en Limousin
chez Culture & Patrimoine en Limousin, en 2005. Sans compter les divers
articles publiés dans les associations savantes du Limousin, ou même de
protection de la nature comme la Société d’Etude et de Protection des Oiseaux
du Limousin. De 1992 à 1997, j’ai oeuvré à la présidence de l’association
« Châlucet en Limousin » pour la sauvegarde et la mise en valeur de
ce site exceptionnel et en 1996, le Conseil général de la Haute-Vienne –
présidé par l’historien Jean-Claude Peyronnet – s’est porté acquéreur du site.
Depuis cette date, des travaux de cristallisation et de dégagement des ruines
ont été entrepris, des fouilles effectuées et des visites partielles sont
ouvertes au public.
Si l’on connaît désormais plutôt
bien l’histoire du lieu, c’est, comme il est normal, aux époques où on en
savait moins qu’elle a le plus alimenté fantasmes et hypothèses. L’imagination
cherche toujours à combler les interstices entre les savoirs, comme les choucas
des tours aiment à habiter les lézardes des murailles de Châlucet. C’est
pourquoi, dès le 19ème siècle, ces ruines romantiques ont nourri
légendes et écrits de toutes sortes[3]. Le
fait que la forteresse ait notamment été occupée par le routier Perrot dit Le Béarnais de 1381 à 1394, pratiquant « le rançonnement des individus, les
pillages, le racket des collectivités (sufferte ou patis), en faisant payer des
autorisations de circuler appelées aussi sauf-conduits »[4], le fait qu’il
l’ait utilisée comme base arrière pour attaquer les environs et jusqu’en
Auvergne, contribuant, avec d’autres, à faire régner la peur en Limousin, a
durablement marqué les esprits, de génération en génération. Tout comme les
rapines effectuées par la garnisons seigneuriale du seigneur d’Albret qui tint
la place vers 1420-1440. L’utilisation de Châlucet pendant les guerres de
religion et son démantèlement en 1594 également. De plus, la destruction au 16ème
siècle a installé durablement aux portes de Limoges des ruines
« mystérieuses » et inspirantes, y compris pour les peintres et les
photographes. Durant des décennies, les visiteurs – d’abord de Limoges et des
environs – y sont venus, à pied, en train, à vélo, en voiture, souvent en
famille, pour y passer la journée ou l’après-midi, moment qui comprenait
généralement l’ascension vers les ruines par le fossé arrière, puis un temps de
repos au bord de l’une des deux rivières baignant cet éperon sur
confluent : la Ligoure et la Briance – cette dernière étant également
chargée pour les Limousins d’un sentiment fort d’appropriation et de
représentation, comme le prouvent la chanson Lo Brianço ou les poèmes d’Edouard Michaud dans Le Chalel d’or publié en 1910. Dans les
années 1960 à 1990, Châlucet est devenu un lieu « obligé »
d’expéditions (en particulier nocturnes) pour des étudiants en mal de sensations
fortes et parfois baudelairiennes (donc cannabiques), à tel point que des
chutes furent à déplorer !
***
En 1840, le romantisme gagnant
le Limousin, paraît à Limoges le roman en deux tomes de Francis Levasseur
intitulé : Le Château de Chalusset
ou l’excommunication, chronique du 11ème siècle. L’auteur, qui
écrit dans un style « troubadour », est né au Mans en 1776, mais il
est secrétaire de l’Académie de Limoges de 1831 à 1837 ; inspiré sans
doute par Victor Hugo, il tente de nourrir sa narration de quelques repères
historiques. Pour une raison inconnue, l’auteur commence son histoire par ce
qu’il appelle un épilogue, plutôt qu’un prologue, où il met en scène le sire
comte Oldoric de Mortemart, seigneur (fantaisiste) de Châlucet, qui attaque son
voisin, le vidame de Solignac. Dans la confusion provoquée par cet assaut,
Emmeline, l’épouse de ce dernier, disparaît dans un souterrain et se réfugie
chez son fidèle vassal, Marcillac. C’est chez lui qu’elle meurt, lui confiant
ses enfants. Le roman commence véritablement
à la page 77, avec le récit intitulé Le
château de Chalusset, histoire d’amour, de mystère et d’aventures non
dénuée de suspens.
En 1900, Barthélémy Mayéras
(Limoges, 1879-1942), conservateur à la Bibliothèque de Limoges, traducteur de
Heine, publie une nouvelle intitulée Fin
d’idylle à Chalusset.
Treize ans plus tard, Edmond
Jacquet, qui s’est choisi pour pseudonyme Jean Printen, publie une pièce, Jeannette, la bâtarde de Châlucet, qu’il
reprend sous forme de roman en 1921 sous le titre : Las Baricada, le bourineur. C’est une histoire d’amour et de
trésor, qui se déroule dans un climat fantastique. L’ouvrage comprend quelques
illustrations et il est assez agréable à lire.
Mais l’ouvrage le plus délirant
est celui d’Alfred Lavauzelle (Limoges, 1881-Paris, 1944), auteur auparavant de
plusieurs contes, collaborateur de divers journaux limousins ou parisiens :
L’Auberge du chat crevé, publié à
Paris en 1931. Il raconte l’histoire d’un évêque limousin devenant pape (cela
s’est vu !) mais surtout l’histoire d’un jeune valet devenant « roi du Limousin » et vivant
à Châlucet. Lavauzelle revendiquait la liberté du romancier mais précisait dans
La Vie limousine en novembre
1933 : « son devoir, même
lorsqu’il ment de la manière la plus outrageante, est de démontrer que ce qu’il
dit est vrai », le but étant d’impressionner agréablement le lecteur
pour qu’il oublie ses « servitudes
terrestres ».
Châlucet a inspiré les poètes, à
commencer par Louis Guibert, le premier historien du site, qui taquina aussi la
muse et publia ses Rimes franches.
Des chansons-poèmes ont encore les lieux pour décor, comme La Promenade à Châlucet de José Mozobrau (1883), La Bicicleta de Pradeu, retrouvée et
publiée par Jan dau Melhau et Le Sire de
Châlucet, complainte sur l’air du tra la la, attribuée au comte de
Coëtlogon, alors préfet de la Haute-Vienne, qui pourrait être l’auteur des Lettres sur le Limousin (1857-59)[5], récit de voyage
relatant entre autres une nuit passées dans les ruines de Châlucet – c’est dire
si cette tradition d’arpentage nocturne remonte à loin !
Incontestablement, ces divers
exemples montrent combien Châlucet est devenu un objet littéraire, en particulier aux 19ème et 20ème
siècles.
***
On l’a écrit en introduction,
après l’activisme militant de l’association « Châlucet en Limousin »,
le Conseil général est propriétaire depuis 1996 des ruines de Châlucet, forteresse
classée monument historique par Prosper Mérimée (dont j’ai publié le rapport de
classement dans mon livre), et du parc forestier du domaine de Ligoure. « Il a lancé un vaste programme de
sauvegarde et de mise en valeur du site afin d’en faire un lieu culturel et
touristique de qualité »[6]. De
1997 à 2002, une première tranche des travaux a porté sur la consolidation des
murs de Châlucet-bas et de la porte du Capitaine. Par la suite, le traitement de
la Tour Jeanette a abouti à son ouverture au public en 2004. En 2005, ce sont
les vestiges de la façade principale de Châlucet-Haut qui ont fait l’objet de
travaux de consolidation. Puis, entre 2006 et 2008, devait venir l’opération de
restauration et de mise en valeur du village médiéval découvert sur le site de
Châlucet-bas lors des fouilles archéologiques : caves, maisons de chevaliers.
Des spectacles et animations divers ont été accueillis in situ : baptêmes de vol en montgolfière, promenades contées,
spectacles folkloriques ou bien encore création théâtrale ; La compagnie Chabatz d’entrar proposa ainsi sa
création 2006, « en chantier », un spectacle autour de matériaux
bruts et naturels qui revendiquait de poser « une
question essentielle » : « qu’est-ce qu’on construit aujourd’hui
? ». En 2007, la jeune troupe Du Grenier au Jardin, présenta « Bradiski »,
un spectacle de cirque-théâtre déambulatoire et de la musique médiévale résonna
enfin en ces lieux : La Camerata vocale proposa en effet « Le livre vermeil », un concert de
musique médiévale interprété par cinq musiciens et quinze choristes sous la
direction de Jean-Michel Hasler. Enfin, on put même assister à une soirée
astronomique animée par l’association Découverte Atmosphère et Espace.
En 2008, la commission
permanente du Conseil général de la Haute-Vienne – présidé par Mme Perol-Dumont
– a approuvé le plan de financement du programme de travaux pluriannuel
2008-2013 au château de Châlucet : mise en sécurité de la lice ouest,
cristallisation des façades de la cour d'entrée, stabilisation et
cristallisation du donjon, dégagement et consolidation des zones au pied du
donjon et du logis ancien. Le coût global de l'opération est de 2,32 millions
d'euros HT. L'Etat participe à hauteur de 525 000 euros permettant le
lancement d'une tranche de travaux de 1,05 million d'euros, dont la
consolidation de la lice ouest pour un coût de 350 000 euros[7]. Une
première et longue phase, nécessaire est donc en cours : celle de la
sauvegarde effective et des fouilles, qui permettent de mieux connaître la
véritable histoire du site. Une deuxième phase, à mener en parallèle, serait de
« construire » une politique de mise en valeur en lien à la fois avec
cette histoire des lieux mais également les représentations qu’ils peuvent
susciter chez les Limousins, et chez tous les visiteurs, nombreux, venus de
France et d’ailleurs. C’est ce que nous préconisions déjà avec Corinne Géraud
en 1992, après avoir longuement et précisément interrogé les touristes. Une
action culturelle à mettre en réseau avec deux autres sites médiévaux du
Limousin ayant également une forte identité culturelle et littéraire : Ventadour
– site littéraire s’il en est, haut lieu des troubadours[8] -, mis
en valeur grâce à l’obstination de Luc de Goustine qui y a créé le festival
« Estival », et Crozant – dont la fameuse Ecole rassembla une pléiade de peintres paysagistes qui, un siècle
durant, de 1850 à 1950, bravant les humeurs des saisons, posèrent inlassablement
leurs chevalets le long des paysages sans cesse changeants de la vallée de
la Creuse. Parmi eux, les plus grands : Monet, Guillaumin[9].
Cette mise en réseau de trois pôles très cohérents serait à la fois nécessaire
et bénéfique pour la Région Limousin, qui doit exploiter au mieux et au plus le
tourisme culturel.
Un premier pas est accompli avec
une triple publication : le guide touristico-littéraire publié par le
Centre régional du livre en Limousin[10] à
destination du grand public et des touristes ; bien sûr celle de mon Abécédaire de la littérature du Limousin en
2008 ; et, en principe en 2009, celle – moins exhaustive mais captivante –
des éditions Alexandrines, coordonnée par le critique Georges Chatain, où nous
sommes plusieurs écrivains « limousins » à écrire sur d’autres
écrivains « limousins ».
En ce qui concerne plus
spécifiquement le site de Châlucet, nul doute qu’une réédition des trois
principaux ouvrages l’ayant pour décor que j’ai cités ci-dessus, en un seul
volume illustré et convenablement introduit, serait un important premier pas.
Il conviendrait ensuite de proposer sur place, par exemple dans la
« maison d’accueil », une première exposition fondatrice sur Châlucet
littéraire et artistique (écrits, tableaux, photographies...), et de construire
une programmation touristico-culturelle d’envergure en rapport. Ainsi
retrouverons-nous enfin à Châlucet les soirs
historiques chantés par le
visionnaire Arthur Rimbaud :
En quelque soir, par exemple, que se trouve le touriste naïf, retiré de
nos horreurs économiques, la main d’un maître anime le clavecin des prés ;
on joue aux cartes au fond de l’étang, miroir évocateur des reines et des
mignonnes, on a les saintes, les voiles et les fils d’harmonie, et les
chromatismes légendaires, sur le couchant[11].
[1] « Le site
protohistorique de Chalucet, commune de Saint-Jean-Ligoure (Haute-Vienne).
Bilan de dix-huit années de recherche », Aquitania Bordeaux, 1984, no2, pp. 3-36.
[2] Après une enquête sur le
terrain dont son descendant m’a confié copie des notes et croquis.
[3] L. Bourdelas, Du Pays et de l’exil – Un Abécédaire de la
littérature du Limousin, Les Ardents Editeurs, Limoges, 2008, p. 43-44. Toutes les références non sourcées dans
notre communication vienne de cette notice.
[4] C. Rémy, Seigneuries et châteaux-forts en Limousin,
Culture & Patrimoine en Limousin, Limoges, 2005, vol. 2, p.20.
[5] Les Ardents Editeurs,
Limoges, 2007.
[6] Le Magazine de la Haute-Vienne, août 2006, n°91, p.15.
[7] Le Moniteur-Expert, 31 octobre 2008, n°5475.
[8] L. Bourdelas, Du Pays et de l’exil, déjà cité, p.
164-167.
[9] C. Rameix, L’Ecole de Crozant, Les Peintres de la
Creuse et de Gargilesse, 1850-1950, Lucien Souny, Limoges, 1991-2002.
[10] Guide de balades littéraires en Limousin, Limoges, 2007.
[11] « Soir historique »,
in Illuminations, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p.150.
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