Une nouvelle fois, on chante au Théâtre de La Passerelle, cette fois
sur des textes du poète Jean-Pierre Siméon, dans une mise en scène réussie de
Michel Bruzat, avec la formidable comédienne Marie Thomas.
Jean-Pierre
Siméon avait vu juste : Marie Thomas est « une actrice rarissime » et on lira la suite de l’éloge
dans le programme du spectacle. Je veux dire pourquoi elle l’est à mes yeux –
moi qui l’ai vue débuter ici-même, qui ai aimé sa façon de jouer, avec sa voix,
son corps, son visage, qui la vois revenir à Limoges avec un grand
plaisir : Marie Thomas est parfaite pour interpréter ce(s) personnage(s)
attachant (s) de femmes (et d’hommes) que la fortune n’a pas distingués ;
pour chanter la misère et la révolte ; l’injustice et la poésie des grands
chemins – celle de Rimbaud, mais aussi celle de Victor Hugo, et de Prévert, qui
semblent avoir inspiré l’écriture de ce grand poète contemporain et plein
d’humanité qu’est Jean-Pierre Siméon. Elle prévient dès le départ qu’elle n’est
pas forcément celle que l’on croit mais qu’elle est comme elle est, pour
paraphraser l’auteur de Paroles. Elle
est crédible de bout en bout, avec ses oripeaux de femme de ménage, ses
chaussures comme seules compagnes à qui parler, son litron à la main. Pleine de
talent, de force et de fragilité mêlées pour chanter la quinzaine de
chansons-poèmes écrites par Siméon et mises en musique par un autre artiste de
grande qualité : Gilles Favreau[1] -
accompagnée au piano et à l’accordéon par l’excellent Benoît Ribière, qui ne
dépareillerait pas dans un roman d’Alexandre Dumas. La force de cette création
musicale, c’est qu’elle donne à la chanson « réaliste » des airs
parfois chaloupés et donc trompeurs… Marie Thomas est ici intemporelle – et
c’est aussi la force de la mise en scène de Michel Bruzat, qui aime faire
résonner les chansons à texte dans son théâtre – comme tout droit sortie du Chat Noir, d’une cour avec la môme
Piaf ou du théâtre d’aujourd’hui. Mais
ce qui est triste, avec cette intemporalité, c’est qu’elle dit la permanence de
la misère et de l’injustice sociale. 1789, 1848, 1871, 1968, 1981, 2010
( ?), le combat continue ; cela veut dire que malgré les luttes et les
espoirs, les échecs perdurent. Et qu’aux pauvres, aux exclus à qui personne ne
vient en aide, ceux des taudis de toujours, qui récurent les planchers chez les
autres ou repassent leur linge, ceux qui mendient dans les rues ou se
prostituent, s’ajoutent aujourd’hui les « sans-papiers », venus
grossir le rang de la misère quand ils ne disparaissent pas en essayant de
franchir le détroit de Gibraltar, ultime étape, croient-ils, avant le pays de
Cocagne.
Elle
est bien, Marie Thomas : elle sait jouer de tout son corps et de toute sa
voix, évoluant dans ce cabaret où s’assoient les spectateurs, celui de la vie.
Elle sait jouer des lumières de Franck Roncière, du costume de Dolores Alvez
Bruzat, du décor simple où émerveille une simple pluie argentée tombant du
ciel. Elle prend à partie les spectateurs et fascine jusqu’aux plus jeunes,
parce que ce monde, c’est le notre. Elle, Siméon, Bruzat… appellent à la
révolte, au réveil, les apeurés que
nous sommes, avec la somme de nos petites compromissions qui font les grandes
lâchetés et les complicités impardonnables. Mais comment nous rendre attentifs
aux autres ? Comment nous faire comprendre l’immense désespoir du
sans-abri quand la télévision nous gave d’images de luxe, de traders, de
sportifs, et même d’artistes surprimés pour les siècles des siècles, quand elle
nous culpabilise quand nous ne jouons pas le grand jeu de la consommation,
auquel nous sommes pourtant toujours perdants. Comment nous faire comprendre à
nouveau la nécessité de la révolte quand la politique se fait au Fouquet’s ou à
bord des yachts ? Comment nous faire comprendre qu’il faut rejeter les
nationalismes et transformer les vieux drapeaux en draps pour s’y coucher et
s’y aimer, en nappe pour partager les nouveaux banquets fraternels ?
La
poésie de Jean-Pierre Siméon, poète témoin, mais vrai poète aux images
sensibles et puissantes, s’efforce à dire tout cela et à nous faire entrevoir
qu’un autre monde est possible, si nous le voulons. Et cette poésie âpre et
violente comme ce qu’elle dénonce, cette poésie qui nous invite aussi à dormir
libre dans l’herbe des fossés, cette poésie essentielle à nos vies, s’incarne à
merveille en Marie Thomas.
[1] Avec lequel je me souviens
avoir mis un peu de vie dans un collège limousin il y a plus de 10 ans…
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