En 2010, les éditions Gallimard
ont publié un récit court, dense, puissant, poétique et bouleversant de l’écrivain
corrézien Alain Galan. Commençons d’abord par dire qu’il est tout à fait légitime
qu’il soit enfin publié par cette prestigieuse Maison, à la suite, par exemple,
de son aîné Pierre Bergounioux. La première remarque que je me suis faite, en
fermant cet ouvrage, le jour déclinant en ce mois d’août sur la plage de Gâvres
– pays de loups de mer –, dans le
Morbihan, où je le lisais, c’est que s’il est des mots de la langue française
habités pour l’éternité par la littérature et la poésie grâce à l’usage qu’en a
fait un auteur (la madeleine de
Proust, les Alcools d’Apollinaire…),
alors Alain Galan sera celui de la louvière,
qui ne figure même pas dans les pages de mon Petit Robert. Son talent et sa réflexion, suscités par une horrible
douleur et une mue forcée, l’ont fait malgré lui archéologue sémioticien,
explorateur d’un seul mot, finalement trouvé pour dire une souffrance et
utilisé pour dépasser une modification irréversible du visage.
« La mâchoire dévorée par une tumeur
résistant à la radiothérapie – elle s’était développée à l’apex de la canine,
le croc inférieur chez le loup –, le narrateur doit se résoudre à subir une « mandibulectomie
sub-totale, antérieure et latérale », nous prévient la quatrième de
couverture. Derrière cette terminologie chirurgicale euphémisante se cache une
opération violente avec amputation, chirurgie réparatrice, difficultés inouïes
pour déglutir, manger, boire, parler… et, par-delà ces douleurs peut-être plus
facilement maîtrisables car physiques ( ?), le choc terrible de se
(re)voir dans le miroir de la chambre d’hôpital, visage tuméfié, à tout jamais
changé : Je est vraiment devenu Un autre. Alain Galan entreprend donc
dans ce livre la quête de cet autre derrière lequel pourrait bien se
dissimuler, tapi quelque part dans la mémoire génétique, un loup. Une recherche
douloureuse, qui doit triompher de tous les obstacles, du grand froid qui
parfois l’envahit, des hallucinations de la morphine, du désir d’en finir ou de
sombrer dans la folie – il est aussi question de la maladie qui creusa
littéralement la joue de Freud –, de s’échapper, de regagner des lisières illusoirement
protectrices : celles des belles forêts limousines où, autrefois,
sortaient les animaux « entre chien et loup ». Ces lisières qui sont
comme des interfaces entre le monde des hommes et celui des animaux, entre le
clair et l’obscur, entre archaïsme et modernité. Brocéliande n’est pas loin qui
attire et menace de ses sortilèges. Dire le loup, c’est paradoxalement
domestiquer le traumatisme et réapprendre à écrire. Son ami – oserais-je écrire
notre ami ? – l’écrivain Luc de
Goustine l’y aide discrètement en lui envoyant une figurine de saint François
accompagné du loup de Gubbio – le fameux loup très féroce réduit par saint François à une très grande douceur.
C’est dire si ce don est pertinent.
Deviner
le loup, sentir la sauvagerie – qui est peut-être une innocence primitive –,
c’est donc aussi sentir en soi le besoin impérieux de l’écriture (cette passion
dévorante, révoltée et révoltante). Retrouver ce goût, pour celui qui était déjà
un bel écrivain, mais qui signe ici son plus beau livre, issu des lambeaux de
chair et de vie. Un récit d’une grande force, d’une grande beauté, où l’humour
trouve sa place réconfortante (il vaut mieux, face au corps médical !), où
la poésie gagne insensiblement du terrain jusqu’à la page 118 qui se lit comme
un poème : « … je me dérobe et,
souffle court, cœur battant, je disparais dans le profond de l’enfance et des
bois. » On attend d’autres récits du Lycanthrope.
Jeudi 2 septembre 2010
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