Lê
Quan Ninh était en concert-performance au
Théâtre Expression 7 de Limoges le 16 septembre dernier ; il y est apparu
comme un maître sensible des sons.
1er
Prix du Conservatoire de Versailles, où il suivit les cours de Sylvio Gualda,
il a choisi la pratique des percussions depuis l’adolescence et s’est orienté
vers une musique improvisée et très contemporaine, performative, par exemple au
sein du Quatuor Hêlios, de l’ensemble]h[hiatus, ou seul en scène. Il travaille
régulièrement avec des danseurs.
Assister
à l’une de ses prestations, c’est d’abord se souvenir de tous les
percussionnistes qui l’ont précédé, comme tous les batteurs de jazz
nord-américains vus en concert (à commencer par l’éblouissant Lionel Hampton),
de tous les soli où ils se mettaient
à improviser magnifiquement, jouant de leurs baguettes et de leurs balais, de
leurs mains au besoin, dans des moments de quasi folie musicale. C’est se
souvenir de toutes les innovations progressives. Et c’est se laisser emporter
par une formidable inventivité, une énergie intelligente, une créativité à la
fois musicale, sonore et visuelle – car il est aussi ici question du combat
avec les instruments, les objets, le réel.
Lê
Quan Ninh est face à sa grosse caisse, les
cymbales sont au sol, comme les baguettes. Ce sont les vestiges de la batterie
des anciens temps, c’est la base de son instrumentation. L’artiste réapprend
l’usage des mains, des doigts humectés qui glissent et des poings, comme dans les
temps archaïques. Il fait rythme de tout : des galets, des pommes de pin,
d’un arc, qu’il frappe, tape, fait vibrer, sur la caisse, sur le sol, sur les
murs, dans le sombre ou le rougeoiement des lumières (il apparaît alors comme
un moderne Vulcain ou Héphaïstos – le dieu du feu et des forgerons – et sa
musique raconte une mythologie, devient chant puissant des origines). Les sons
se succèdent pour nous surprendre, nous stupéfier, nous apeurer et nous
séduire : la porte est grande ouverte à l’imaginaire, on songe aux mines
et aux usines, aux avions et aux trains, au bourdonnement (le bombus) des abeilles. Des paysages
sonores se substituent au noir du plateau. Les cymbales de tailles différentes
se révèlent instruments plein de possibles, amplificatrices et belles en leur
couleur dorée comme les soleils des peintres Grand Siècle – Lê Quan Ninh
nouveau Roi Soleil avançant une
cymbale en guise de visage…
La
gestuelle maîtrisée – presque une chorégraphie –, la beauté des sons, leur
puissance évocatrice, la pertinence des silences soudains, l’esthétique
d’objets ordinaires ici anoblis, atteignent une incroyable poésie. En
particulier lorsque Lê Quan Ninh
(dont le nom même rejoint l’art qu’il pratique) utilise des bols tibétains ou
népalais de différentes grosseurs (et, on imagine, de différents alliages) :
c’est un moment de méditation qui pourrait durer, une accalmie quasi chamanique
et l’on comprend qu’il était aussi question de chakras, d’énergie vitale et spirituelle, et que ce
concert-performance était un moment tout à fait exceptionnel.
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