La cité, morne.
Les pères absents. Les mères qui font des ménages. Les filles qui entrent en
silence dans les tours surveillées par les mecs. Les frères qui surveillent et
qui cognent. La violence, les chocs. Ceux des matches de football américain.
Ceux des bagarres (filmées sur téléphones portables), pour des suprématies de
pacotille. Ceux des insultes qui fusent d’un quai de R.E.R. à un autre.
Bagnolet, Bobigny, la Défense,
le Forum des Halles (fort bien filmés). Des utopies rêvées par des architectes
et des urbanistes transformées en quartiers oppressants ponctués de dealers et
de guetteurs. La violence du racket à l’entrée du collège, celle du racisme
ordinaire d’une vendeuse de magasin de fringues, et surtout, celle de
l’Education Nationale – scène dans laquelle la caméra emprunte le regard
destructeur de la
Conseillère d’Orientation Psychologue – prompte à éliminer
ceux qu’il faudrait aider. Ceux qui, pour s’en sortir, finissent par se
prostituer ou vendre de la drogue, tombés aux mains de caïds qui croient que la
ville est à eux parce qu’ils dansent sur les terrasses et font rentrer du cash.
C’est tout cela que montre – sans peser – Céline Sciamma dans son film Bande de filles.
Mais ce film à l’évidence politique, en ce sens qu’il questionne sur
ce qu’est notre pays, sur ce que sont certains quartiers de nos villes et sur
ce que sont certains de nos jeunes (aussi bien de la cité que du Paris des
fêtes dites branchées), est aussi réjouissant par la vitalité qui s’en dégage.
On songe en le voyant au « vin de vigueur » évoqué par Rimbaud.
Vitalité féminine, ce qui fait du bien, face à l’apathie et au conformisme qui
semble paralyser les garçons. Et pas n’importe quelles filles pour former la
bande dont il est ici question : des filles fortes moralement et
physiquement, des filles belles, des filles noires : Karidja Touré (Vic –
la victorieuse), Assa Sylla (la
piquante et forte Lady), Lindsay Karamoh (Adiatou) et Mariétou Touré (Fily). Filles
aux corps musclés et sensuels, qui ont besoin de se retrouver entre elles et de
créer un cocon d’amitié pour résister au monde extérieur – ne serait-ce que le
temps d’une nuit dans une chambre d’hôtel, à fumer, rire, chanter et dormir. On
comprend alors le choix de la chanson de Rihanna pour les accompagner, ce sont
bien elles les diamants qui brillent dans le ciel (et non pas seulement la
drogue ou l’alcool évoquées dans la chanson)… Il faut parfois passer par le
grégaire pour échapper finalement au déterminisme – ce que semble vouloir faire
Vic à la toute fin du film, après son parcours initiatique, puisqu’il s’agit
bien là aussi d’un film d’apprentissage, comme il existe des romans
d’apprentissage. Apprentissage de l’amour aussi, de la fraternité (et de la
sororité), et surtout de la liberté – qui passe aussi par l’abandon de l’amour
auquel on croyait être destiné. Et puis, malgré la gravité, il y a, tout au
long de ce film, de l’humour et des rires, de la musique, et de l’espoir.
Celles qui affrontent sans peur toute cette adversité sauront s’échapper et triompher
– comme lorsqu’elles s’affrontent lors des battles de hip hop.
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