Béatrice
Castaner, née en 1961 à Limoges, est la secrétaire générale du festival des
Francophonies en Limousin ; elle publie un premier roman chez Serge Safran
et c’est une réussite. Il s’agit d’abord du portrait de trois femmes à travers
le temps et même les millénaires : Aÿmati, une jeune femme néandertalienne
d’il y a trente mille ans, Gabrielle, une archéologue d’aujourd’hui et Mära,
dernière représentante de l’espèce sapiens.
Une quatrième qui les accompagne intervient de temps à autre entre
parenthèses : l’auteur elle-même.
Béatrice Castaner, qui connaît bien la Préhistoire si l’on en
croit ses remerciements en fin d’ouvrage, rejoint, dans sa première partie au
moins, un genre littéraire bien établi, celui de la fiction préhistorique, qui
compte des adeptes chez les écrivains et les lecteurs depuis au moins la
célèbre Guerre du feu de J.H. Rosny
aîné, publiée en feuilleton dès 1909. L’originalité du récit de Béatrice
Castaner vient d’abord de son style, particulièrement poétique et même inventif
dans la ponctuation, lorsqu’il s’agit du récit néandertalien ; d’ailleurs,
le texte prend parfois la forme du poème et c’est bien ainsi car il s’agit de
dire un temps très lointain, un temps où
l’on dessine sur les parois des grottes avec des morceaux de charbon de bois
non taillé, un temps où le cheval de la paroi semble prêt à bondir dans la
lumière ténue. Il s’agit de dire un temps où l’on découvre le plaisir de
souffler dans un os long et blanc percé de petits trous. Béatrice Castaner
invente des mots, des prénoms, des histoires et des contes, dit la nature
essentielle, le froid, les éléments, la nourriture d’alors : viande
séchée, quelques noix et pignons. Elle raconte l’éparpillement puis l’extinction
possible d’une espèce avec la disparition de deux femmes : Jy et Aÿmati –
celle-ci revenant seule vers sa terre natale dans une longue marche qui la
conduit jusqu’à son dernier souffle. Tout au long du voyage, elle sculpte des
figurines d’ivoire avec des pointes de silex.
C’est l’une d’elle que retrouve
Gabrielle, archéologue, le personnage de la deuxième partie, dont le style
alterne entre le récit et les extraits de carnets de fouilles. « J’aime
fouiller, gratter, déterrer, mettre au jour, à la lumière, les traces de nos
passés », dit-elle : le travail de l’archéologue, certes, de
l’historien, mais aussi parfois celui de l’écrivain. La préhistorienne est
convaincue que les néandertaliens sont des êtres d’une grande richesse
culturelle et avec son personnage comme avec celui d’Aÿmati, Béatrice Castaner
évoque la bouleversante naissance de l’art. Et cette évidence : l’homme
moderne n’en est pas l’inventeur. Sur les traces de Pic de la Mirandole ou de Pascal,
l’archéologue comme l’écrivain s’interrogent sur la place de l’être humain dans
l’univers, dans l’infini, mais plus encore sur notre planète que l’homme
moderne semble s’acharner à vouloir détruire.
Une destruction qui prend la forme
métaphorique d’une épidémie provoquant une exsudation frappant les êtres humains
au milieu du 21ème siècle et les faisant progressivement tous
mourir, après qu’ils s’en soient pris aux derniers primates vivant sur la
terre. Car Béatrice Castaner qui réfléchit sur ce qui précède ou frôle
l’humain, écrit aussi sur les bonobos, si proches génétiquement des humains –
ce qui se lit même dans la profondeur d’un échange de regards entre l’homme et
celui qui est bien plus que l’animal que l’on croit. C’est ce qu’évoque sa
dernière partie qui met en scène Mära, dernière représentante de la race sapiens bientôt mourante comme le fut
des millénaires plus tôt Aÿmati.
Parfois, dans le beau et dense roman
de Béatrice Castaner, les rêves se répondent, les êtres entrent en
correspondances à travers les temps, parfois, des dessins dans la cendre ou
ceux des enfants sont des réminiscences. Des témoins fugaces que l’on se passe.
Avant la catastrophe annoncée.
Enfin, le livre est aussi une
manière de réfléchir au thème de la disparition, de la mort – l’archéologue
étant elle-même victime d’une leucémie –, de l’apprivoiser, peut-être, par la
littérature et la poésie.
L’écrivain dédie son livre à Bénit
Pascal Pandian, jeune conteur centrafricain disparu en mai 2013 et cet hommage
contribue à rappeler qu’elle-même, avec Aÿmati,
est une conteuse sur papier de grand talent ; elle le dédie aussi à Mara
Negron, universitaire et écrivaine portoricaine, elle-même disparue, docteure
en études féminines, et cet autre hommage donne l’occasion de dire combien
Béatrice Castaner brosse ici les portraits de trois belles femmes, de belles
âmes – comme la sienne.
Jeudi 21 août 2014.
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