mardi 3 décembre 2013

Les "noyés" de Max Eyrolle


 

            En voyant les nouvelles toiles de Max Eyrolle, je songe à Saint-Pol-Roux, à son texte « Le Fol », paru, peut-être, dans La Rose et les épines du chemin : « Près d’un champ de lin en fleur, sur un tronc mort, je découvris, vêtu de sac, pieds nus, l’air d’un naufragé de la Vie, l’haleine en va-et-vient de scie, un homme aux regards vers ailleurs. » C’était à l’aube d’un siècle nouveau, comme nous sommes aujourd’hui à l’aube d’un siècle nouveau. Max Eyrolle peint lui aussi des formes allongées qui captent la lumière et pourraient être des troncs morts ou des naufragés de la Vie, comme le sont les femmes suicidées auxquelles songe parfois l’artiste lorsqu’il contemple les étangs, dans le souvenir d’une Ophélie bercée par la clarté de la lune. Naufragé de la vie comme le fut Ulysse que l’on imagine, dans l’un des tableaux, échoué sur une plage où l’attendent des sortilèges : corps allongé, semble-t-il, dans la lueur dorée d’un matin, dans l’infinité des gris satinés à force de couches épaisses.
            Coulures de couleurs, abstraction qui confine cependant à la figuration, formes ébauchées, maîtrise constante de la lumière, la peinture de Max Eyrolle laisse place à l’imaginaire de celui qui la regarde, elle ouvre sur les champs possibles de la poésie, sur le rêve éveillé. Ces corps doucement étendus ne sont peut-être, après tout, que des troncs emportés par une rivière et laissés là sur la grève : traces sombres, parfois, qu’approcheront sans bruit les loutres lorsque nous partirons. J’y vois encore les bois flottés, drossés sur la côte par l’action du vent, des courants ou des marées, car les gris du peintre sont peut-être moins calmes qu’il n’y paraît : et s’ils étaient, sans même qu’il le sache lui-même, des gris atlantiques ? Une peinture d’embruns, alors, de mouettes et de grande liberté salée.
            Travail admirable du peintre et du poète à l’écoute des vents, des brises, des vagues, des secrets liquides – Moesta et errabunda… et si la peinture de Max Eyrolle aidait à exorciser toutes les suffocations pour ouvrir sur « un autre océan où la splendeur éclate » comme l’envisageait Baudelaire ? Et si – spectateurs xylophages – nous cherchions à abolir les sortilèges dangereux de nos existences, à redonner vie aux arbres déracinés, à relever les corps allongés, pour retrouver des temps heureux enfouis sous les épaisses couches qu’étala le pinceau ou le couteau ?

            Mardi 3 décembre 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire