En voyant les nouvelles toiles de
Max Eyrolle, je songe à Saint-Pol-Roux, à son texte « Le Fol », paru,
peut-être, dans La Rose et les épines du chemin : « Près
d’un champ de lin en fleur, sur un tronc mort, je découvris, vêtu de sac, pieds
nus, l’air d’un naufragé de la Vie,
l’haleine en va-et-vient de scie, un homme aux regards vers ailleurs. » C’était à l’aube d’un
siècle nouveau, comme nous sommes aujourd’hui à l’aube d’un siècle nouveau. Max
Eyrolle peint lui aussi des formes allongées qui captent la lumière et
pourraient être des troncs morts ou des naufragés de la Vie, comme le sont les femmes
suicidées auxquelles songe parfois l’artiste lorsqu’il contemple les étangs,
dans le souvenir d’une Ophélie bercée par la clarté de la lune. Naufragé de la
vie comme le fut Ulysse que l’on imagine, dans l’un des tableaux, échoué sur
une plage où l’attendent des sortilèges : corps allongé, semble-t-il, dans
la lueur dorée d’un matin, dans l’infinité des gris satinés à force de couches
épaisses.
Coulures de couleurs, abstraction
qui confine cependant à la figuration, formes ébauchées, maîtrise constante de
la lumière, la peinture de Max Eyrolle laisse place à l’imaginaire de celui qui
la regarde, elle ouvre sur les champs possibles de la poésie, sur le rêve
éveillé. Ces corps doucement étendus ne sont peut-être, après tout, que des
troncs emportés par une rivière et laissés là sur la grève : traces
sombres, parfois, qu’approcheront sans bruit les loutres lorsque nous
partirons. J’y vois encore les bois flottés, drossés sur la côte par l’action
du vent, des courants ou des marées, car les gris du peintre sont peut-être
moins calmes qu’il n’y paraît : et s’ils étaient, sans même qu’il le sache
lui-même, des gris atlantiques ? Une peinture d’embruns, alors, de
mouettes et de grande liberté salée.
Travail admirable du peintre et du
poète à l’écoute des vents, des brises, des vagues, des secrets liquides – Moesta et errabunda… et si la peinture
de Max Eyrolle aidait à exorciser toutes les suffocations pour ouvrir sur
« un autre océan où la splendeur éclate » comme l’envisageait
Baudelaire ? Et si – spectateurs xylophages – nous cherchions à abolir les
sortilèges dangereux de nos existences, à redonner vie aux arbres déracinés, à
relever les corps allongés, pour retrouver des temps heureux enfouis sous les
épaisses couches qu’étala le pinceau ou le couteau ?
Mardi 3 décembre 2013
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