Jérôme Leroy, né en 1964, est l'auteur d'une vingtaine de livres. Le Bloc a
été publié dans la Série noire de Gallimard puis, il y a peu, chez
Folio policier. Celui qui était à l'édition 2013 de "Vins noirs", rue
Haute-Vienne à Limoges en juin dernier, évoque souvent dans son oeuvre
une société au bord de l'apocalypse, et c'est bien le cas dans ce roman
où toute ressemblance avec le principal parti d'extrême-droite français
et des personnes existant ou ayant existé est absolument volontaire.
Mieux qu'un ouvrage historique, ce livre très documenté où sourd un
angoissant suspense fait percevoir au plus profond et au plus intime ce
qu'est sans doute le Front National, à peine déguisé ici en Bloc
Patriotique - dont la nouvelle responsable, Agnès, aimait porter des
pulls "bleu marine" à même la peau lorsqu'elle était jeune. Deux
narrateurs se partagent le récit alternant présent et flash-back
multiples: tandis que la France est à feu et à sang en raison d'émeutes
meurtrières, les responsables du Bloc - dont Agnès qui a hérité la
direction du parti de son père, après une tentative de scission menée
par une certaine Louise Burgos - négocient avec le président leur entrée
massive au gouvernement. Antoine Maynard, le mari d'Agnès, ancien prof
de lettres, écrivain nostalgique d'un "avant" merveilleux (pas si
éloigné d'Alain Finkielkraut dans son constat), très violent à
l'occasion, devenu "fasciste à cause d'un sexe de fille", dit-il (celui
d'Agnès), alors que sa vie aurait pu être toute autre (basculant
peut-être vers une sorte de sainteté laïque) se remémore son itinéraire
au Bloc au moment où il va sans doute entrer au gouvernement. Jérôme
Leroy sait montrer un personnage à la fois plus nuancé qu'il y paraît -
fascinant à certains égards - et sans scrupules. L'autre narrateur, son
ami, peut-être une sorte de fils pour lui qui ne peut en avoir, est un
ancien skin homosexuel chargé de former les forces spéciales du Bloc,
celles qui interviennent pour effectuer les sales besognes. Stanko, qui
se prend pour un Spartiate, un fils d'immigré polonais détruit par la
crise de la sidérurgie dans le Nord, devenu meurtrier par désespoir,
puis par conviction et obéissance aux cadres du Bloc - dont un ancien
S.S. -, terrifiant de force et de résolution, plein d'un racisme
déterminé. Au moment où se déroule le roman - même pas 24 heures - il
est pourchassé par ceux qu'il a formés et qui ont l'ordre de faire
disparaître tous les témoins gênants des horreurs commises par le Bloc
durant ces quarante années où il a préparé son accession au pouvoir sous
la férule de son vieux chef alors que l'économie puis la société
française se délitait, perdant peu à peu le sens des valeurs
républicaines. On songe à la "nuit des longs couteaux", à Visconti. Tout
remonte à la surface tandis que se développe le double suspense de
l'attente du résultat des négociations et celui de la chasse à l'homme:
la violence et l'opportunisme des militants d'extrême-droite, leur
absence de remords mais aussi leurs divisions provenant d'origines
politiques disparates. Tout est saisissant de vérité et d'érudition et
le lecteur ne peut lâcher le livre, même quand ce qui y est écrit
devrait être indicible. La violence a une histoire, nous dit ici Jérôme
Leroy, brillant romancier et analyste de la société qui ne cache pas les
compromissions ou les lâchetés de la gauche bien pensante. Elle conduit
souvent au pire: ici, l'après, ce sera soit la dictature, soit la
guerre civile, les deux aimant à se nourrir l'une l'autre.
En ces temps de progression continue de l'extrême-droite, voici un livre bien écrit qui aide à réfléchir.
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