mardi 26 novembre 2013

Le Bloc, de Jérôme Leroy, Prix Michel Lebrun 2012, chez Folio policier

Jérôme Leroy, né en 1964, est l'auteur d'une vingtaine de livres. Le Bloc a été publié dans la Série noire de Gallimard puis, il y a peu, chez Folio policier. Celui qui était à l'édition 2013 de "Vins noirs", rue Haute-Vienne à Limoges en juin dernier, évoque souvent dans son oeuvre une société au bord de l'apocalypse, et c'est bien le cas dans ce roman où toute ressemblance avec le principal parti d'extrême-droite français et des personnes existant ou ayant existé est absolument volontaire. Mieux qu'un ouvrage historique, ce livre très documenté où sourd un angoissant suspense fait percevoir au plus profond et au plus intime ce qu'est sans doute le Front National, à peine déguisé ici en Bloc Patriotique - dont la nouvelle responsable, Agnès, aimait porter des pulls "bleu marine" à même la peau lorsqu'elle était jeune. Deux narrateurs se partagent le récit alternant présent et flash-back multiples: tandis que la France est à feu et à sang en raison d'émeutes meurtrières, les responsables du Bloc - dont Agnès qui a hérité la direction du parti de son père, après une tentative de scission menée par une certaine Louise Burgos - négocient avec le président leur entrée massive au gouvernement. Antoine Maynard, le mari d'Agnès, ancien prof de lettres, écrivain nostalgique d'un "avant" merveilleux (pas si éloigné d'Alain Finkielkraut dans son constat), très violent à l'occasion, devenu "fasciste à cause d'un sexe de fille", dit-il (celui d'Agnès), alors que sa vie aurait pu être toute autre (basculant peut-être vers une sorte de sainteté laïque) se remémore son itinéraire au Bloc au moment où il va sans doute entrer au gouvernement. Jérôme Leroy sait montrer un personnage à la fois plus nuancé qu'il y paraît - fascinant à certains égards - et sans scrupules. L'autre narrateur, son ami, peut-être une sorte de fils pour lui qui ne peut en avoir, est un ancien skin homosexuel chargé de former les forces spéciales du Bloc, celles qui interviennent pour effectuer les sales besognes. Stanko, qui se prend pour un Spartiate, un fils d'immigré polonais détruit par la crise de la sidérurgie dans le Nord, devenu meurtrier par désespoir, puis par conviction et obéissance aux cadres du Bloc - dont un ancien S.S. -, terrifiant de force et de résolution, plein d'un racisme déterminé. Au moment où se déroule le roman - même pas 24 heures - il est pourchassé par ceux qu'il a formés et qui ont l'ordre de faire disparaître tous les témoins gênants des horreurs commises par le Bloc durant ces quarante années où il a préparé son accession au pouvoir sous la férule de son vieux chef alors que l'économie puis la société française se délitait, perdant peu à peu le sens des valeurs républicaines. On songe à la "nuit des longs couteaux", à Visconti. Tout remonte à la surface tandis que se développe le double suspense de l'attente du résultat des négociations et celui de la chasse à l'homme: la violence et l'opportunisme des militants d'extrême-droite, leur absence de remords mais aussi leurs divisions provenant d'origines politiques disparates. Tout est saisissant de vérité et d'érudition et le lecteur ne peut lâcher le livre, même quand ce qui y est écrit devrait être indicible. La violence a une histoire, nous dit ici Jérôme Leroy, brillant romancier et analyste de la société qui ne cache pas les compromissions ou les lâchetés de la gauche bien pensante. Elle conduit souvent au pire: ici, l'après, ce sera soit la dictature, soit la guerre civile, les deux aimant à se nourrir l'une l'autre. 
En ces temps de progression continue de l'extrême-droite, voici un livre bien écrit qui aide à réfléchir.

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