Marie-Noëlle Agniau (c) Laurent Bourdelas, 2009 |
Marie-Noëlle
Agniau va son discret chemin de vraie poète. Elle publie en ce début de 2013
deux beaux petits recueils à La
Porte : Empire de
la forme humaine 1 et 2. A
l’origine, l’empire, c’est le commandement, la domination – est-ce ici la
plénitude ? Celle de l’humain ? La vie est pourtant fragile :
elle « se hâte d’exister/De peur des
cicatrices. » Elle n’est pas plus lourde que la neige, elle n’est
parfois qu’un souffle qui menace d’abandonner et même « les êtres les plus intenses » peuvent
disparaître : « vivace, le
pommier naissant. » L’oiseau lui-même « meurt/en plein vol. » Qui a déjà lu cette poète sait
qu’à la source de son écriture est une faille, une disparition, à laquelle
s’est un jour ajouté la peur de la perte d’un autre être cher. C’est cela,
peut-être, qui nourrit ces livres : un pouls se dissout, un fils marche « pieds nus sur l’abeille. » Apparaissent
donc, même furtivement, des cicatrices, l’épine – celle de la couronne du
Christ ? – le froid, l’égarement, le chagrin, le cri, des assaillants, la
brûlure, la masse d’arme, la foudre qui frappe, la dévastation, les décombres, l’épuisement,
la douleur, l’agonie, jusqu’au doute de l’ultime poème. La vie s’écrit parfois
au passé. Et l’expérience de la souffrance personnelle permet la compréhension
des autres drames, comme celui du corps de Rose, petite fille battue à mort par
son grand-père, dont le corps fut retrouvé il y a quelques années dans le
Yarkon, le fleuve de Tel-Aviv. « L’enfant
disparaît/au profit du manège. » Corps d’enfant enfermé dans une
valise, comme pour un ultime voyage à travers le pays biblique ; en
ouverture du premier recueil, cette citation du Livre d’Ezechiel : « Tu
arrangeras tes affaires comme un bagage d’exilé. » On voudrait tant
que ce crime n’ait pas existé, revenir en arrière, quand la poète écrivait, en
première page : « L’eau
scintille : nulle atrocité. » On aurait voulu que le fleuve se
transformât en refuge, comme au temps où la panière de Moïse flottait doucement
pour se mettre à l’abri des roseaux.
Dans
chaque don, peut-être, il y a « le
trésor et la ronce » ; c’est aussi ce qui est écrit ici. Deux
récits, comme dans la citation d’Eschyle qui ouvre le second recueil : « J’ai deux récits : de l’un
d’eux, je te ferai don. » Et puis la question : celui qui vient
vient-il seulement par amour ? Est-il un double ? La poésie se fait
donc dialogue, avec des vers introduits par des tirets, interrogation et
interpellation, mais aussi jeu de devinettes enfantines, associations d’idées
et jeux de mots, utilisant quelques formes familières au détour d’un vers, pour
faire claquer le style : « Soulève
un peu que je le mate » ou « Crâner ».
La moisson peut alors venir : moisson de mots d’abord – ils sont simples,
c’est leur juxtaposition qui rythme la poésie et accroît aussi le mystère,
celui d’un visage sismique, par exemple, ou d’un « Corpus illettré ». Parfois, un petit poème se déguise
en note de bas de page, comme pour référencer – en fait faire écho – celui qui
est au-dessus : « L’argile que
tu manges assouvit les questions. » L’oiseau, comme chez d’autres
poètes, se fait poésie, même si l’auteur écrit que « L’alouette n’existe pas », même s’il meurt en plein
vol. Il n’est pas seul, il est multiple, même s’il ne sait pas toujours que son
arbre est colonie. « Ce qu’il
désigne/est vaste. Comme le monde. »
« Ma jeunesse est
un pus » est-il dit, mais il faut dépasser la perte, c’est la poésie
qui aide et qui transmue la douleur en art, sans oublier de « semer la colère ». Il faut
que le Verbe fendille l’étau. C’est le pain remis à la bouche. Qu’il permette
de savoir, « Avant de
vaincre. » Que le cri de la poète, « ni
morte ni sereine », soit réapproprié et qu’il ouvre sur « le pouls stellaire », sur le
vaste monde et sur la création, les créations,
c’est-à-dire l’écriture, mais aussi ce qu’elle dit : quelque chose de plus
ample que l’ « Empire de la forme
humaine » qui est le Monde en son entier, et l’Univers.
Car
la poésie de Marie-Noëlle Agniau est univers.