Une nouvelle fois, le metteur en scène Michel Bruzat met en
scène un auteur contemporain à Limoges (avant Avignon l’été prochain): le
poète belge Jean-Pierre Verheggen ; et avec Marie Thomas, ça dépote.
Notons pour commencer le double hommage rendu dans le
programme du théâtre de La Passerelle : à Jack Ralite, homme de
convictions et de culture, et à Pierre Debauche, celui qui dynamisa le théâtre
en Limousin au début des années 1980 et y créa le Festival des francophonies. Nul
doute qu’ils se seraient sentis bien dans cette salle disposée comme un cabaret
chaleureux tout entier dévoué au plaisir des mots, c’est-à-dire à la poésie, la
vraie, celle qui ose, avec deux artistes de grand talent : Marie Thomas,
la comédienne, et Sébastien Mesnil, le musicien.
Tout commence par la satire : celle d’une « officielle »
– Ségolène Lagarde –, comme on en connaît tant (on a tout de suite des noms en
tête…), venue inaugurer le théâtre comme on inaugure un rond-point routier ou
une nouvelle échelle des pompiers, peu de culture et la langue qui fourche,
puisque ici, les mots ne veulent rien dire, n’étant qu’au service de la
démagogie. C’est le comice agricole de Flaubert, c’est le sous-préfet aux
champs d’Alphonse Daudet, c’est ce qui a balayé toute une génération de femmes
et d’hommes politiques lors des dernières élections législatives, car les
Français n’en pouvaient plus. Ridiculum
vitae, déjà.
Et puis Marie Thomas nous embarque avec les mots et les
phrases manifestes de Jean-Pierre Verheggen dont on se souvient qu’il rejoignit
la revue TXT – qui prônait alors la rupture – fondée en 1969 par Christian
Prigent et Jean-Luc Steinmetz à Rennes. Accompagnée tout au long du spectacle
par un Sébastien Mesnil au meilleur de sa forme, jouant des claviers, des
percussions, chantant, expirant au besoin un air salvateur (la poésie est un
souffle), et par les lumières toujours pertinentes et subtiles de Franck
Roncière, Marie Thomas, habillée en rouge par Dolores Alvez Bruzat, joue de sa
voix chaude et rocailleuse et de son corps souple et plat comme celui de l’Olive
de Popeye (d’autres y ont vu Pascale Ogier), de ce corps sensuel, pour délivrer
le message essentiel de cette soirée : la poésie est liberté, puissance
émancipatrice, elle doit tout emporter sur son passage, et surtout, ne pas être
l’apanage des clercs en poésie, aussi ennuyeux que leurs vers rabougris, ou des
universitaires avec leurs épuisantes explications de texte et leurs termes
savants et abscons. On songe évidemment à la Préface de Léo Ferré : « La poésie
contemporaine ne chante plus, elle rampe/Elle a cependant le privilège de la
distinction/Elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore ». Alors,
forcément, on croise Rimbaud, on croise Artaud, mais aussi Malraux, on cite Verlaine
et Céline, on pense à Villon, à Michaux et à Rabelais, pour le meilleur et pour
le pire, on s’esclaffe et on s’émeut au flux incessant, inventif et référencé
de Verheggen, né du cœur et du corps, du sexe, de la bidoche, de la viande, des
humeurs des humains. La poésie est jeu de mots et de vie, elle est libertaire
et toujours innovante, et l’entendre ici aussi bien dite et mise en scène, dans
une telle osmose du fond et de la forme, procure un grand et intense plaisir.
Laurent Bourdelas (29.12.2017)
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