Marc Bruimaud est né le 17
décembre 1958 à Vierzon. Doit-on alors le ranger parmi les écrivains berrichons,
comme Sylvie Germain, Christine Angot, née à Chateauroux (« J’ai
toujours voulu en partir, je ne comprenais pas les filles de mon âge qui
voulaient y rester »), ou
même Jean-Christophe Rufin ? Y a-t-il un déterminisme des bords de
l'Yèvre, du Cher, du Barangeon, de l'Arnon et du canal de Berry ?
S’ennuie-t-on tant à Vierzon (comme l’a suggéré Jacques Brel, finalement, quand
le petit Marc avait dix ans) ou à Châteauroux (où il a passé son enfance) que
l’on emmagasine assez de cet ennui pour en faire de la matière à
écriture ? Ou bien est-ce autre chose, une blessure initiale, d’enfance, comme
le laisse supposer Mon père, un texte de Marc Bruimaud paru dans la
revue Métèque (n°2, avril 2015) ? Un univers familial prolétaire,
sans doute, cheminot – mais un drôle de cheminot qui n’aimait pas les
communistes et aurait voulu être légionnaire. Raciste, semble-t-il, misogyne, homophobe,
traitant sa femme « comme une chienne », tout encombré de son fils.
Fêlure. « Mon père se trouvait plus jeune que la moyenne. À la fin,
il avait l’air d’un vieux déchet. »
Ne doit-on pas dire que Marc Bruimaud est un
auteur installé à Limoges depuis un certain temps (le collège), où il a œuvré à
l’animation du regretté Centre international de documentation, de recherche et
d’édition (CIDRE) Raymond-Queneau (auteur auquel il a consacré divers
ouvrages), qu’il est aussi critique, qu’il intervient dans le domaine de l’art
contemporain, qu’il est passionné de cinéma et l’a pratiqué comme réalisateur,
acteur ou scénariste… qu’il a écrit quelques supercheries littéraires sous le
pseudonyme de Guy (ou Guylaine) Misty. Qu’on remarque sa silhouette imposante
quand il arpente les rues de Limoges (où il enseigna) et que l’on s’amuse de
son franc-parler qui fait du bien en ces temps où les bobos parlent à outrance
le politiquement correct.
Les éditions Jacques Flament publient dans
leur collection « Côté court Littérature » un petit livre de Marc
Bruimaud, à couverture noire, d’une cinquantaine de pages, une nouvelle si l’on
veut, intitulé : Makolet. Une histoire dont le narrateur n’est pas
forcément celui que l’on croit, du moins au début. Un texte qu’on lit d’une
traite et dont la critique aurait peut-être pu s’appeler « le freak, c’est
chic ». Après tout, dans La monstrueuse parade (Freaks), Tod
Browning mettait en scène, en 1932, un nain amoureux d’une belle trapéziste,
Cléopâtre. Bruimaud, lui, raconte l’histoire tragique d’un nain, lui-même
fasciné par la trajectoire d’un autre nain mondialement célèbre : l’acteur
français Hervé Villechaize, bien connu des cinéphiles pour ses rôles dans L’homme
au pistolet d’or ou L’île fantastique. Le narrateur ne le cite pas,
mais on le reconnaît très vite. Surtout à sa mort : un suicide par balle
après avoir regardé Le Magicien d’Oz (une histoire d’orpheline apeurée,
vous vous souvenez ?). C’est sa compagne, la rousse et pulpeuse Kathy
Self, qui le trouva baignant dans son sang. Cette mort surprend le
narrateur : Hervé avait tout pour être heureux et imposer le respect aux
autres. Oui, mais il était nain.
Il y
a un autre acteur disparu dans le livre : celui qui lui donne son titre.
Macaulay Culkin, qui joua dans Maman j’ai raté l’avion (1990). Un gamin
malheureux dont les parents voulaient récupérer l’argent. Dont la sœur Dakota
est plus tard morte écrasée par un chauffard, à Los Angeles. Et dont une rumeur
persistante a annoncé la mort à New York. Peu importe qu’elle soit fausse, elle
parle d’un gosse malheureux. Comme celui dont il est question dans Makolet :
un enfant abandonné par sa mère parce qu’il était nain, un orphelin chez les
Sœurs : « à un moment de leur vie, on a pas voulu d’eux. Ca, ça
dépasse tout le reste. » Un enfant très seul et différent. Qui souffre en
permanence.
Et, plus tard, un jeune, un adulte, frustré
sentimentalement et sexuellement. Que Sarah, la jeune fille qui lui fait la
charité de ses visites, ne peut contenter, pas plus que la femme qui tient le
sex shop où il se rend parfois. Alors, il devient acteur porno chez Marc
Dorcel, ce qui lui permet d’éprouver du plaisir, mais aussi de finir par croire
que les actrices qui doivent jouer avec lui pour permettre la réalisation de
films bizarres l’aiment vraiment. La désillusion vient de Rita, qui lui fait
éprouver avec violence combien elle le méprise…
Raconter la suite du livre de Marc Bruimaud serait priver le lecteur du
plaisir du suspens de sa lecture. Mais il y est question d’un autre garçon
triste, parce que loin de ses Antilles : Désiré. Avec qui le nain se lie à
la vie, à la mort. L’intérêt de ce livre est multiple, c’est presque une
prouesse en si peu de pages : intrigue originale, style agréablement
cinématographique, moments « pornographiques », polar… Et il s’agit
aussi d’un ouvrage qui aborde la question de l’écriture – qui écrit, comment,
pourquoi ? On en revient au début de ces lignes. A la fêlure de l’enfance,
précise dans Makolet comme dans le texte Mon père. Celle qui
nourrit, depuis toujours, bon nombre d’écritures. « Mon père disait
aussi : « Si t’arrêtes pas, je
vais te foutre DÉ-HORS ».
7 mai 2015.
Jacques Flament Editions, 44 rue Principale, 08380 La Neuville aux Joûtes. 4,50 euros.
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