Voilà.
Deux semaines après avoir pris sa retraite d’enseignant de l’Ecole publique,
Serge Vacher, né en 1957, est mort en Espagne. Pour tous ceux qui l’aimaient –
de près ou de loin, ce qui était mon cas – cela a été un grand bouleversement,
et l’affluence à ses obsèques estivales, au milieu de la campagne limousine, a
été la preuve de l’attachement qu’il suscitait. Serge était un gars du Plateau,
d’Eymoutiers, du village de Larue – son nom même était la preuve d’une belle
origine rurale – et cela se sentait dans trois de ses bouquins publiés par
Après la lune : Lo cro do diable, Le
ranch of Léon et Le blues de
l’équarisseur (après un premier roman situé aux Coutures, quartier
populaire en contrebas de la gare des Bénédictins à Limoges, ville où il
s’était installé en devenant instituteur). Serge – grand connaisseur de la
littérature policière (il animait avec talent La vache qui lit) – appartenait à ce courant relativement nouveau
du « polar régional », en l’occurrence limousin, ce qui veut tout
dire et rien dire : un polar est réussi ou non, qu’il soit ou non ancré
dans une région. Après tout, dit-on que ceux écrits par le grand James Lee
Burke sont « régionaux » parce qu’ils se passent dans la paroisse de
New Iberia, en Louisiane ?
Serge
avait un véritable style, savait créer ce que l’on aime dans un bon
polar : une ambiance, sans oublier d’instiller une vraie part sociale,
éventuellement politique : critique de la gestion des réserves en uranium
par les entreprises et les élus, des porcheries industrielles (et donc du
capitalisme agricole productiviste), du nationalisme d’extrême-droite. Pas
étonnant d’ailleurs lorsqu’on sait que Serge Vacher était un très actif
militant syndical enseignant, toujours prêt à manifester contre ceux qui
mettent à mal notre système éducatif ou s’en prennent aux acquis sociaux (ce
qui a beaucoup été le cas ces dernières années…). Serge savait décrire la
beauté du paysage limousin sans s’appesantir ; il savait dire le travail
des paysans ; montrer les animaux, les prairies, la « montagne »
limousine. A sa manière, qui valait bien, finalement, celle d’un Bergounioux ou
d’un Millet – différente. Il connaissait les petites gens, petits agriculteurs,
retraités, parlant la langue limousine qui fut celle des grands poètes
médiévaux, habitués des bistrots ruraux qu’il agrémentait d’une jolie et solide
tenancière. Il savait dire la convivialité des apéros ou des bons petits repas
dans les arrières-salles et, lui qui aimait et pratiquait la musique,
n’hésitait pas à parsemer ses textes de références à la country, au rock, que
jouaient d’ailleurs certains de ses personnages. Ses enquêteurs, Bastien Lenoir
(le vieux), Philippe Gonay (le jeune), assistés de Max Léobon – journaliste à L’Echo et grand séducteur de ces dames –,
prenaient leur temps pour résoudre les affaires : le temps de boire un
coup et plus, de s’attabler, de discuter, d’aimer. Des flics humains. Sa
littérature était donc profondément humaniste, comme lui. J’ai beaucoup de
tristesse à me dire que je ne lirai plus les énigmes concoctées par Serge, tant
je les trouvais attachantes et originales.
Serge
aimait boire un bon coup, comme ses héros. Le
vin roule de l’or a écrit Baudelaire qui savait de quoi il parlait. Le vin
irrigue les polars de Serge Vacher et il réveillait son sourire. Avec d’autres,
il avait créé Vins noirs à
Limoges : des rencontres formidables, unissant auteurs de polars et
vignerons. Tous ceux qui y participeront désormais n’oublieront pas de lever
leur verre en mémoire de Serge, de son univers, de ses personnages. Il faudra
d’ailleurs que l’on prenne le temps de lui organiser un bel hommage.
Et je sais
qu’il m’accompagnera désormais lorsque j’arpenterai le Plateau de Millevaches
ou les Monédières.