Autoportrait de Laurent Bourdelas, cimetière de Pigerolles, Corrèze, hiver 2004.
Laurent Bourdelas, pourquoi dites-vous qu’Ashes est un recueil imprévu ?
Tout simplement parce
que sa parution est le fruit de circonstances ! A l’occasion de
l’adaptation de mon texte Sanc par le
collectif Wild Shores, je me suis dit que ce serait bien que ce texte inédit
soit disponible. Et je me suis aperçu que de nombreux autres poèmes inédits (de
la période 2002-2012 environ) dormaient dans la mémoire de mon ordinateur. Il y
avait donc matière pour un ouvrage assez consistant, anthologique.
Pourquoi est-ce L’Arbre à Trucs qui publie le recueil ?
Vous savez, publier
de la poésie en France aujourd’hui (quand on n’est pas Michel Houellebecq)
relève parfois du hasard, de la stratégie, des proximités ; certains sont
très aidés, d’autres pas, pour des raisons qui m’ont toujours échappé – de
toute manière, mes textes ont toujours été édités. Mon ami Jean-Pierre Siméon,
le directeur du Printemps des Poètes, m’a fait le plaisir de m’écrire qu’il
trouvait que ce recueil était bon. Je l’ai adressé à divers éditeurs et n’ai
pas immédiatement reçu de réponse, ce qui est normal. Je l’ai finalement
proposé à L’Arbre à Trucs qui produit également l’adaptation de Wild Shores…
Peu de temps après, j’ai reçu un mail de l’éditeur belge L’Arbre à paroles qui
me disait vouloir aussi publier mon recueil ! Ashes a été « prévendu » en partie par une
souscription : il semble que ma poésie bénéficie de quelques
amateurs ! Être à nouveau édité par une petite structure est rafraîchissant,
après l’avoir été en 2011 par Stock puis en 2012 par Le Télégramme…
D’où vient ce titre ?
Du poète irlandais Seamus Heaney : Listen to the rain spit in new ashes. (« Ecoute
la pluie cracher sur la cendre fraîche. »). Dans son recueil L’étrange et le connu (NRF). Par goût,
je lis beaucoup de poètes celtes (comme Dylan Thomas, aussi), depuis
l’adolescence. Ce vers m’a paru exprimer très justement l’esprit de ce recueil.
Les cendres y sont en effet multiples. Ce recueil est pour moi une manière de
pratiquer la Qeri'ah
des Juifs, qui consiste à faire une déchirure sur le vêtement visible des
personnes qui doivent porter le deuil. (Mardochée, apprenant le décret d’Haman d'extermination
des Juifs, déchire ses vêtements et se couvre de cilice et de cendres, d’après
Esther 4 :1). Ma déchirure vaut pour les Juifs et pour l’humanité entière.
Ce qui frappe, malgré la diversité formelle de certains
textes, c’est la grande unité de ce livre, pourtant écrit sur une dizaine
d’années, et sa teinte mélancolique, et même sombre…
J’en suis étonné
moi-même ! Il y a de la tristesse à constater que l’humaine condition se
définit grandement ou en partie, depuis l’origine, par la violence, le goût du
meurtre et du sang. De L’Iliade à la Syrie. Certains philosophes – comme
Alexis Philonenko – ont écrit à ce sujet. Cela nourrit aussi ma poésie, mais
pas seulement. Il y a aussi l’amour, la paternité (double, pendant la période),
l’histoire, les paysages – en particulier du Limousin et de Bretagne, deux pays
qui pour moi se ressemblent, excepté l’océan.
Qu’est-ce que la poésie, pour vous ?
Quel vaste
sujet ! J’en lis (et relis) et j’en écris depuis l’enfance ! Grâce à
mes parents, mes instituteurs, certains de mes professeurs qui m’en ont donné
le goût. Elle a accompagné toute ma vie jusqu’à présent, puisque j’ai aussi
participé à la création et à la direction de revues (c’est un sacerdoce !)
– comme la revue Friches, il y a tout
juste 30 ans, à l’initiative de Jean-Pierre Thuillat, revue qui existe
toujours. J’écris des critiques pour des revues, des journaux, la radio… Je la
mets parfois en scène au théâtre… J’écris des livres au sujet des poètes (L’ivresse des rimes et sa suite à
paraître)… Je vis avec une poète (de grand talent : Marie-Noëlle
Agniau) dont j’ai aimé l’écriture avant de la rencontrer… à l’occasion du
Printemps des poètes 2000. J’imagine donc que, d’une manière ou d’une autre, la
poésie est vitale pour moi. Sous toutes ses formes. Même quand les poètes
m’énervent – ce qui est fréquent.
Vous aimez citer Baudelaire, « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel,
qu'importe ? Au fond de l'Inconnu pour
trouver du nouveau ! »…
Comme beaucoup
d’autres, j’ai aimé Baudelaire – et je l’aime encore. C’est un extrait du
Voyage, dédié à Maxime Du Camp… Il est très riche. « Ô le Pauvre amoureux
des pays chimériques ! » Le voilà, le poète, et c’est moi. Contemplant
cette pauvre humanité comme de l’extérieur, mais lui appartenant pleinement. Le
décalage paradoxal et éternel du poète !
Les chimères, les
rêves, la fragilité, la sensibilité, les fugitives impressions. A-t-on encore
le droit de les revendiquer ? Le gouffre au fond duquel je plonge, c’est
moi-même, ma mélancolie, parfois la nostalgie. J’y puise la matière nécessaire
(qui me surprend souvent) à l’écriture. C’est dans ce gouffre que j’ai puisé le
texte inaugural du recueil, au départ simplement inspiré par la vision fugace
de la Loire
embrumée de blanc, en novembre 2010, de retour d’une rencontre avec Alan
Stivell. Une seconde à peine et puis la matière à poème a fait le reste. Le
nouveau, c’est aussi la dimension nouvelle donnée à certains de mes textes (La
Calobra en 2008
ou Sanc aujourd’hui) par le travail
d’adaptation sonore et visuelle, et plus encore, effectué par le collectif Wild
Shores).
Propos recueillis par Philippe Baillehache pour L’Arbre à trucs.
Pour commander le recueil: adresser un chèque de 13 euros (pour la France) à L'Arbre à Trucs, Villa Clio, 87 260 Vicq-sur-Breuilh.
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